cain mozarmes
Un des livres les plus durs, mais aussi un des plus émouvants que j'ai lus. Même s'il contient bien autre chose, il est avant tout le récit d'une enfant sans amour maternel (ni paternel, le père étant mort étrangement) et qui, ainsi, ne disposera jamais de cette référence bienveillante pour construire sa personnalité et son jugement. Le portrait de cette mère, "perverse narcissique" selon les termes actuels, est un chef-d’œuvre. On peut difficilement imaginer sans en souffrir pour elle ce que fut pour l'auteur cette quête éperdue, mais vaine, d'un amour maternel simple et humain. Merci à elle de nous avoir rappelé que la face des hommes peut parfois cacher l'impensable et qu'on peut y survivre.
 
Le livre est écrit comme un journal autobiographique, un récit de formation face à cette béance affective. Si la mère est absente, ou, pire, destructrice, reste-t-il d'autres liens qui pourraient s'y substituer ? Oui, sans doute, pour partie, tant qu'ils conservent leur liberté d'agir, ce qui n'est pas le cas ici. Une grand-mère jouera un rôle certain, par exemple. Mais le chantage affectif de la mère, le jeu sournois de ses amants, la rapacité de son frère créent un tableau étouffant qui ne laisse plus de place aux simples sentiments humains. Un réseau de conflits d'intérêts, de principes sociaux hypocrites et de jeux de pouvoir étale ses tentacules. La guerre est permanente et fait ses victimes, dont, tout particulièrement, l'auteur.
 
Le livre relève aussi de l'art du "portrait". Il fallait sans doute avoir longuement souffert pour retrouver au fond de sa mémoire les mille touches de cette violence occulte et de cette jouissance du mal qui caractérise le fondement de l'action de cette mère sans amour. Son portrait, fait de détails, de mots à peine dits, mais cruels, de gestes insignifiants en d'autres circonstances, mais ici meurtriers, marque profondément le lecteur. La logique les déserte, le blanc est noir, le mal est le bien. Pour avoir approché cette forme de perversion, je sais hélas cela possible. Le tableau peint ici est remarquable et fait frémir.
 
Ce livre, malgré sa sincérité, reste un océan de non-dits et d'interrogations. Peut-il en être autrement ? Il devait cependant être écrit, d'abord pour l'auteur qui y vide son cœur. En a-t-elle retrouvé la paix pour autant ? On peut le lui souhaiter, mais aussi en douter. Il fallait son intelligence et son caractère fort pour lui permettre de survivre à une pareille épreuve. Il devait aussi être écrit pour nous, pour nous aider à discerner de tels profils dans notre environnement et à les éviter ou les neutraliser avant qu'ils nous dévorent. Merci à elle de l'avoir fait si brillamment.
 
Sydney Laurent - 301 pages