Ce livre est une belle occasion de prendre un peu de recul par rapport à la vision que nous avons de la place de la Chine dans le monde. Notre connaissance de ce pays, souvent obscurcie par les éclats de l'actualité et par des préjugés anciens, nous laisse désarmés pour aborder efficacement le cadre des relations que nous devons établir avec ce pays. Or la Chine a depuis longtemps (le livre remonte au 13e siècle) eu des rapports avec le monde. Il n'est donc pas impossible d'en comprendre les caractéristiques et leur évolution. C'est ce que ce remarquable essai nous propose à travers 13 épisodes de la vie internationale de ce Grand État. On constatera ainsi que notre évolution occidentale du droit des nations n'est pas du tout, mais pas du tout, conforme à la vision chinoise, structurellement fondée sur l'inégalité des pays et la structure hiérarchique des nations. Et la Chine se prépare à devenir la première puissance mondiale !
Nous avons souvent une image dominée par deux phases de l'histoire de la Chine. L'une est celle des "Tang" et des "Song", qui ont laissé une trace culturelle considérable. L'autre est celle de la dévastation de l'état au 19e et 20e siècle et de sa renaissance dans les 30 dernières années. Cela est incomplet et néglige le fait que les conceptions politiques de la Chine ont été largement forgées par la domination mongole (Époque Yuan 1271-1368) qui, pour simplifier, a instauré la structure qui était alors celle d'un chef absolu et d'une cascade hiérarchisée d'allégeances, ce qui n'est pas sans rappeler notre système féodal. La notion d'empereur représentant du Ciel incarne cette doctrine. Et qui pourrait alors être au-dessus du Ciel ? La Chine actuelle conserve cette structure transposée, certes, mais toujours vivante. Les concepts issus de la révolution démocratique occidentale n'ont pas cours là-bas, comme le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, les droits de navigation internationaux, ni, d'une façon générale, tout ce qui relève du droit international et pourrait contraindre l’état.
De là découle pour la Chine une conception hégémonique de sa relation aux autres pays. Pour leur bien, leur paix et leur prospérité (langue de bois encore en cours), mais hégémonique quand même. L'histoire internationale chinoise est celle de la recherche de la mise en place de cette relation avec les autres pays et dont la forme, si bien décrite dans le livre, est souvent celle de l'allégeance manifestée par des tributs. Cette conception a rendu la pénétration de la Chine par le commerce violente, le commerce étant perçu comme un droit par les Occidentaux, mais comme un viol par la Chine. Le déséquilibre actuel montre que les choses n'ont guère changé et que la Chine reste un pays fermé qui a des lois qui ne sont pas celles des autres. Un exemple bien connu est le Tibet, entré dans le système tributaire chinois pendant la domination mandchoue au début du 18e siècle, qui fait donc partie, pour la Chine, de son domaine, alors que nous y voyons un reste néocolonial.
Ces 13 histoires se lisent comme un roman. Elles apportent surtout un éclairage puissant sur ce qui a, au cours des ans, formé cette conception chinoise inégalitaire et hiérarchisée de sa relation au monde. L'occident lui a, par la force, imposé sa conception égalitaire du commerce aux 19 et 20e siècles. La Chine imposera-t-elle la sienne en retour au 21e siècle ? Qu'elle le souhaite ne suffit pas à l'obtenir. Son néocolonialisme (Ouïghours, Tibet, Taïwan, Mongolie Intérieure) est lourd et couteux, sa politique de déni des règles internationales n'attire pas la sympathie du reste du monde. Et ses problèmes internes immenses restent en suspens et pourraient bien mettre son économie, le juge de paix, à rude épreuve, sans oublier la montée inexorable du coût de sa main-d’œuvre qui a été un atout majeur de sa percée économique. Et, sans l'occident qui achète ses produits, que deviendrait la Chine ?
Payot (2019) - 536 pages