Ce roman, paru en 1909 est très inspiré de la vie de l'auteur et manifeste ainsi une vraie sincérité. Roman, il reste néanmoins incontestablement marqué par son temps, parfois un peu foisonnant, mais puissant, car s'adressant à des situations et des problèmes que l'on peut qualifier d'universels et encore parfaitement d'actualité. L'intrigue est bien menée et le livre se lit d'une traite, en dépit de quelques digressions ou d'analyses psychologiques un peu longues.
Le héros est un voyou des bas quartiers d'Oakland (près de San Francisco) qui, par un amour fantasmé et à force de travail, va devenir un écrivain célèbre. Il ne supportera pas le paradoxe de cette célébrité acquise pour ses œuvres passées, alors qu'elles avaient été refusées par les éditeurs et dépréciées jusque là par ceux en qui il plaçait sa confiance. Ce qui a du succès lui semble extérieur à lui. Il en arrivera ainsi à se juger sans identité, incapable de jouer désormais un jeu social faux et basé sur l'illusion, et choisira une fuite tragique. L'intrigue intéresse, mais alourdie par des préoccupations propres à l'époque, ne ferait sans doute pas de ce livre ce qu'il est pour d'autres raisons.
Citons ici quelques-uns des grands thèmes qu'il traite et qui lui donnent son poids. A quel prix est supportable l'exil de sa classe sociale, même pour le meilleur ? La richesse est-elle un bon remède à cet exil ? Peut-on aimer en dehors de sa classe sociale ? Ne souriez pas, la question reste parfaitement actuelle ! Pourquoi l'éducation, même supérieure, fabrique-t-elle souvent des perroquets sans pensée autonome ? Le travail est-il un outil d'émancipation ou d'asservissement ? Peut-on se créer la "bonne vie" ? L'obéissance à notre morale de classe nous ferme-t-elle la vue ? Mais peut-on vivre sans elle ? Etc. Certes, aucune de ces questions n'a de réponse juste et générale. Mais qu'un livre les pose à travers les actes de ses personnages mérite notre intérêt et notre considération.
Voici donc un livre qui, malgré sa taille et ses longueurs, sort du lot. L'Amérique conquérante du début du 19e siècle possédait là un écrivain dont la lecture, aujourd'hui encore, a conservé toute sa saveur.
Folio 6197, 587 pages.