snowden memoires
 
Avons-nous conscience d'être surveillés ? Oui, sans doute. À quel point ? Très difficile à dire, car nous ne savons pas bien ce que nous divulguons de nous-mêmes par le biais des moyens virtuels regroupés sous le terme d'internet. Mais, pensons-nous, il y a des lois pour nous protéger ? Oui, il y a même aux USA, pays de l'auteur, une inscription de cette protection dans la constitution. Alors, que faire le jour où l'on prend conscience que l’État viole ces lois et même la constitution, en recourant massivement à la recherche active et au stockage de nos données, supposées privées ? Snowden, lui, a décidé de le dire publiquement. Ce livre décrit sa découverte de ce viol et comment il s'est protégé puis a mis en œuvre la publication de cette découverte. Il est depuis dix ans exilé de son pays. Cet essai passionnant me semble poser trois questions majeures.
 
Snowden a-t-il eu raison de procéder à cette trahison à son engagement d'officier du renseignement US ? Chacun répondra à cette question en fonction de ses convictions, de son expérience et sa compréhension personnelles du problème posé. Car, après tout, si nous envoyons des mails, si nous surfons sur internet, nous savons que nous sommes dans le domaine public et que nos échanges et les métadonnées qui les accompagnent obligatoirement (adresse mail, sujet, position GPS, caractéristique du destinataire, adresse internet IP, sites visités, liens cliqués, etc.) sont ainsi rendus publics. De plus, toutes ces informations sont conservées des années sur des serveurs et sont accessibles sans grandes difficultés. Que Google ou autre commerçant les utilisent pour nous cibler se comprend, même si cela nous est désagréable. Ce qui par contre est profondément choquant est l'usage fait par un État pour créer un dossier évolutif sur chaque citoyen dont il titre des conclusions et intervient hors de tout contrôle judiciaire. Le terrorisme explique ; il ne justifie pas. C'est ce qui a révolté Snowden au point de prendre des risques vitaux. Que les USA ne fassent pas mieux que la Chine en dit long sur la déshérence des valeurs républicaines. Et, après un beau geste qu'est le RGPD, l'Europe se propose fin 2019 de suivre le même chemin du flicage de masse.
 
Alors que faire ? Enfin une question à laquelle il me semble facile de répondre. Se défendre, se protéger avant toute chose. Un peu par ignorance ou par paresse, mais souvent parce que c'est compliqué, nous faisons l'autruche. On peut, par exemple limiter la rage flicarde de Google ou d'Amazon et surtout de Facebook dans notre espace utilisateur. Qui le sait ? Qui le fait ? On peut aussi être circonspect sur les infos qu'on lâche. Tout ce qui est publié est définitif et, par exemple, telle photo amusante et provocante peut un jour être utilisée contre nos intérêts. Facebook vend nos données et se fait prendre la main dans le sac, sans grande conséquence pour lui. Devons-nous alors garder notre compte ouvert ? J'ai fermé le mien depuis un an. What'sApp est propriété de Facebook. Pourquoi ne pas utiliser Signal parfaitement sécurisé ? Pourquoi ne pas utiliser systématiquement un VPN dans nos échanges ? Le VPN gratuit de Protonvpn.com, par exemple, est parfait. Pourquoi confier quoi que ce soit à des sociétés US quand on sait que, sur injonction, les entreprises US sont obligées de tout livrer au FBI ? Pourquoi utiliser le moteur de recherche de Google qui stocke systématiquement nos données au lieu de Qwant (moteur français) qui ne le fait pas ? Etc. La confidentialité s'apprend et nous avons notre part de responsabilité dans la situation actuelle. Nous ne nous promenons pas à poil dans les rues ; il faut vêtir nos échanges sur le net. L'innocence a cessé.
 
Devons-nous nous indigner que les Sociétés ou les États nous fliquent ? Ma réponse est non, mais ils peuvent mieux faire. Non, d'abord, parce que tout ce qu'il est capable de faire, l'homme le fera. En bien ou en mal. Les actes ont toujours eu priorité de fait sur les mots, les idées. Et ceux qui ont inversé cette loi sont souvent des fanatiques, encore plus près du mal que ceux qui le supportent pour ce qu'il est. Si le recueil massif de données sur chacun de nous est possible, il sera accompli. Et prétendre que mes coordonnées GPS du 26 décembre 2019 à 14 h 22 m'appartiennent comme des données personnelles confidentielles est une ânerie qui frôle l'hystérie. Ma petite personne ne mérite pas cette révérence, ni cette sacralisation. Et si je ne veux pas qu'on le sache, alors c'est à moi de me protéger. Les moyens existent.
En revanche, il me semble que les États peuvent mieux faire et qu'un meilleur équilibre est à trouver. Tout peut advenir, mais il faut en rendre compte et placer un cadre. Les institutions démocratiques ont été inventées pour ça. Avec un peu d'imagination, elles peuvent faire autre chose qu'une indignation stérile et des interdictions que le premier geek venu balaiera (comme ce fut le cas de Hadopi en France). Merci au geek, au passage, car sans ses piratages nous ne saurions rien. Et, si vous pouvez pirater sur internet, faites-le ! Un piratage réussi est la preuve que la défense de confidentialité n'est pas assurée. En le faisant, vous alertez et faites progresser la protection. Internet peut évoluer et évoluera. Nous sommes aujourd'hui sous une version naïve d'origine, contrôlée par les USA. Cela, entre autres, doit changer. Un vaste chantier, certes !
 
Alors, en conclusion, merci à ce livre d'avoir posé ce problème de la confidentialité en même temps que celui de la dérive d'un État qui semble perdre la boussole. Et merci surtout à Snowden d'y avoir risqué sa peau en le dénonçant. Il faut lire cet essai à la portée de tous et réfléchir à ce qu'il nous dit. Cela me semble plus urgent que la lecture du dernier Goncourt.
 
Seuil (2019), 382 pages