Les militants écologistes durs ne liront certainement pas ce roman. Ils auront tort, car il est drôle et bien ciblé. Il aborde cette religion intransigeante de l'apocalypse écologique pour ce qu'elle est, prétentieuse et inefficace face à des problèmes réels, mais surtout destructrice intellectuellement et physiquement pour ceux qui s'y enferment. C'est le thème principal de ce roman. L'humour parfois ironique de l'auteur est un régal, même si sous cette attitude perce une sympathie que l'on peut comprendre lorsqu'on mesure les dégâts faits par notre mode de vie, où le CO² n'est probablement qu'un détail. L'habileté de l'écriture nous entraine jusqu'à la dernière page sans ralentissement et, en chemin, on apprend beaucoup !
 
Deux amis issus de l'éducation supérieure, ici Agro, partagent cette conscience d'un monde blessé par notre hubris économique et aussi par cette foi contemporaine dans l'individu roi, un peu dévastatrice. Égoïsme toxique ! Le roman suit leurs deux destins, souvent séparés en raison à la fois de leurs origines et de leurs cheminements, mais unis par le sujet de leur spécialisation : les lombrics. L'un reprend une ferme abandonnée pour la revivifier, l'autre lance un projet industriel écologique. L'un comme l'autre comprendra à ses dépens combien la vie est plus compliquée qu'il ne l'avait pensé et combien il est difficile de mener une action utile en oubliant que ce que l'on sait doit être mis précautionneusement à l'épreuve du réel.
 
Les personnages sont crédibles, vivants et parfois touchants. J'ai particulièrement apprécié celui de la partenaire de l'un des deux, Philippine, une sale brute, avide, malhonnête et immorale à souhait. Une "startuppeuse" sans autre règle de conduite que gagner quel qu'en soit le coût. Superbe portrait !
 
Ce roman rappelle aussi, avec toute la distance voulue, que l'éducation supérieure n'est pas une clé suffisante pour un jugement sain ni une indication quelconque de compétence ni de caractère. J'ai encore en mémoire ces discours grandiloquents des dirigeants de ma grande école, nous rappelant que nous étions le sel de la nation en oubliant de rappeler le chemin pour mériter cela ! Quand s'y ajoute une foi imbécile de détenir une vérité transcendante, la catastrophe est proche.
 
J'ai aimé ce livre, qui montre avec détachement et souvent avec humour ce qu'il ne faut pas faire. Mais qui rappelle aussi qu'il y a un problème écologique réel que nous ferions bien de nous attacher à traiter avec sagesse. J'ai beaucoup appris en le lisant sur l'état inquiétant des sols cultivables à la suite des techniques courantes de culture et sur le rôle rédempteur des vers de terre !
J'avais eu l'occasion de dire le bien que je pensais d'un autre livre de l'auteur ( La fin de l'individu) et je souhaite réitérer ici cette appréciation.
 
Éditions de l'Observatoire (2023), 380 pages