L'auteur a écrit là un roman vif et optimiste pour nous parler du malheur sous tous ses avatars. Son texte est, comme d'habitude, un régal de verve, d'humour et d'humanité. Incontestablement, les époques de guerre, ici 1940, sont un terreau où les personnages affranchis des usages par les circonstances, se révèlent pour ce qu'ils sont. Et cette révélation est toujours celle d'un mélange indissociable de bien et de mal propre à notre espèce, dont la prise en compte donne au roman un réalisme que n'ont jamais les héros ou les monstres littéraires. Encore une réussite, même si un peu d’élagage ne nuirait pas...
Le malheur est en effet un compagnon protéiforme de nos existences. Nous perdons ceux qui nous sont chers, la fortune nous joue des tours, la santé n'est pas toujours là, nous ne sommes pas en toutes circonstances fiers de nos actes et nos relations affectives sont riches en déceptions. S'ajoute en période de guerre la menace vitale que l'on soit soldat ou civil. Le climat qui s'installe alors est tel qu'échapper à la souffrance devient le premier commandement. L'auteur sait saisir les mille réponses à cet impératif et dresse ici un panorama impressionnant des réactions humaines face à cet enjeu. Certains se réfugient dans l'excès, d'autres dans la compassion, d'autres exploitent cette situation, d'autres enfin s'y noient. L'auteur sait admirablement construire des personnages crédibles, bien identifiés, de chair et d'os.
Il manifeste en particulier une affection considérable pour les voyous, habiles et pleins d'allant qui savent monter avec panache une petite affaire de l'autre côté de la ligne droite, sans passer du délit au crime. Et cela aussi bien dans les entreprises terrestres que dans celles du spirituel. Le faux curé est un sommet jubilatoire de l'art de PL ! Il est aussi l'incarnation de l’escroquerie utile, ce mélange du bon et du mauvais qui est notre tissu humain. C'est à mes yeux dans le récit des aventures de ces petits malfrats que PL est incontournable.
Voici donc un roman tout à fait crédible sur la débâcle de 1940, drame bien peu reluisant pour notre pays. L'indécision, la faiblesse stratégique de l’État-Major, la division du pays qui se payait d'illusions socialistes ou de racisme, tout cela, nous le savons tous, a conduit à des souffrances injustes. La faim, le désespoir, l'abandon, la honte accompagnent les personnages du roman et tout particulièrement ceux que l'on oublie souvent, comme ces civils fuyants, démunis et épuisés, devant l'ennemi. Ce ne sont pas des héros et il est facile de les oublier, comme les malheureux Allemands qui tentaient de survivre dans les ruines de leurs villes.
PL est fondamentalement optimisme et son roman s'achève sur une fin apaisée en dépit des tourments vécus. Son humanisme chaleureux ne lui fait pas choisir une autre issue, plus dramatique. Il manifeste ainsi sa confiance dans le ressort, jamais définitivement cassé, dont disposent les hommes dans leur épreuve de la vie, pour eux-mêmes et leur lignée. Ressort qui n'a d'ailleurs à aucun moment besoin d'une carotte religieuse pour exister. Un livre parfois un peu long, mais au ton juste et qui, dans nos temps incertains, fait du bien.
Albin Michel (2020), 544 pages