Voici une nouvelle saga mémorable construite autour d'un événement réel, le trafic de piastres à l'époque de la guerre d'Indochine. L'auteur, une fois encore, campe des personnages inoubliables avec une maîtrise qui les rend proches, ce qui, d'ailleurs, ne signifie pas sympathiques. Arnaqueurs, paumés, criminels, lâches ou courageux, quelle brochette ! Quant au trafic, qui a été utilisé par l'ennemi de l'époque pour nous combattre, merci à l'auteur d'avoir rappelé ce qu'il fut. Vision pessimiste des hommes ? Réaliste, en tout cas, même si nos idéaux peuvent en prendre un coup.
 
Ce qui m'a d'abord impressionné à la lecture de ce roman est la qualité littéraire des personnages. Un portrait, par exemple, mérite notre respect : celui de Geneviève, chipie, inculte, vénale, moche comme un pou, débordante d'activité pour pallier celle que son époux, Jean dit Bouboule, n'a pas. Et lui, ce fils aîné qui fit sombrer les espoirs de son père, n'est-il pas parfait ? Borné, impuissant, inefficace, meurtrier compulsif, quel tableau de maître ! Tous ces personnages croisés ici et là sont de vrais bijoux. Quel talent ! Il est vrai que le mal est souvent plus plaisant à exposer que le bien !
 
L'intrigue elle-même est une réussite. La famille Pelletier à la réussite exemplaire (enfin, peut-être pas ?) va se découvrir une progéniture compliquée qui entre rapidement en conflit avec l'honorabilité affirmée des parents. Mensonge pour mensonges, le destin des rejetons va entrer dans une danse effrénée qui en conduira certains en Indochine, dont Étienne, un fils mal dans sa peau. Là aussi, les personnages rencontrés dans ce monde colonial finissant seront hauts en couleur et valent le voyage !
 
Étienne va alors découvrir un trafic de piastres, qui enrichit indûment ses bénéficiaires, dont le Vietminh, au détriment des contribuables métropolitains. Le roman décrit parfaitement cette arnaque qui fut à l'origine d'un scandale historique. Les bénéficiaires ne se laisseront pas faire et fournissent au roman l'occasion d'épisodes fort actifs !
 
Un autre rejeton Pelletier, François, journaliste, tentera de dénoncer l'affaire. Il ne se fait pas que des amis ! Mais quelle magnifique occasion de décrire la vie d'un journal quotidien ! Là aussi, nous croisons des caractères vivants qui ne manquent pas de sel et qui, à mes yeux, font la qualité du roman.
 
On peut reprocher à l'auteur une caricature pessimiste de l'humanité. La pirouette finale qui fait le bonheur des plus minables va dans ce sens. Mais est-ce du pessimisme ou du réalisme ? Qui n'a pas parfois découvert la face grise de personnes apparemment lisses ? Sans mentionner ceux qui n'ont pas même la force de cacher leur médiocrité ou leurs autres vices ? 
 
Quoi qu'il en soit, c'est avec un humour inépuisable que l'auteur joue avec les vilenies des uns et des autres, pour notre plus grand bonheur de lecteurs. Cabrioles, clins d'œil et traits d'esprit, voilà notre menu. À table, vite !
 
Calmann Levy (2022), 587 pages