On doit applaudir l'intention de ce livre-programme, qui est de déplacer le combat d'hommes vers un débat d'idées. Les électeurs y seront-ils sensibles ? L'expérience politique de l'auteur donne à ses réflexions et propositions, souvent pleines de bon sens, un poids réel qui mérite débat. Il subsiste néanmoins quelques a priori discutables et quelques silences que l'on peut regretter.
L'analyse d'abord.
Elle porte autant sur la situation de la France que sur la conduite des affaires par les actuels dirigeants. Le diagnostic est sévère dans les deux cas. La France vit au-dessus de moyens qu'elle ne sait plus accroître et fait porter le poids de ses dettes aux générations à venir, tout en subissant un chômage délétère. Qui peut défendre cela ? Le peuple le sait et perd confiance dans sa classe politique et surtout dans ses institutions, ce qui est plus grave à terme qu'un rejet de dirigeants incompétents. L'éducation est un triste exemple d'une institution dévoyée. Il y en a d'autres, comme la justice. Or, qu'est-ce qu'une république d'autre que des institutions fortes, guidées par la loi démocratique ? De plus, l'étatisme que nous vivons (l'Etat représenté par sa "nomenclature" est omniscient, seul à représenter l'intérêt général et doit tout régenter) est justement le contraire d'une démocratie qui veut que des hommes libres prennent leur destin en main.
L'analyse de FF doit être lue, car elle apporte, filtrée par une expérience qui est considérable, une vision que, probablement, beaucoup de Français partagent sur un grand nombre de points abordés. C'est mon cas.
Les propositions, ensuite.
FF est courageux, ce qui risque de lui faire manquer le podium. Le dernier chapitre expose en effet les mesures qu'il prendrait dans les 3 premiers mois, s'il était élu. Elles ont pour objectif la relance de l'emploi et, peut-être ainsi, celle de l'économie. C'est en effet une urgence. De plus, il s'engage à proposer rapidement par référendum deux réformes : la politique française d'immigration et l'organisation politique de la France. Rude tâche !
Mais d'autres idées sont exprimées qui sous-tendront son action et certaines me semblent essentielles et novatrices (ce qui n'est certes pas bien difficile dans le vide actuel). Citons-en quelques-unes :
- Une "allocation sociale unique" qui viendrait remplacer quelques prestations qui se bousculent au milieu des centaines qui existent. Est-ce suffisant, face aux 550 milliards € d'allocations et aides sociales, dont l'augmentation a été de 50% en 10 ans ?
- Une révision de notre ligne diplomatique guidée par les intérêts de la France et moins par ceux de nos alliés. Cela consiste en particulier à rendre à la Russie et à l'Iran la reconnaissance de leur rôle. Bravo. Et à demander aux Européens (si l'Europe a le sens que FF lui donne) de partager la charge de la défense. Mais alors, peut-il en même temps, comme il le fait, souhaiter une intégration diplomatique européenne ? Cacophonie en vue...
- Faire évoluer la "profession" politique : réduire les ministères (déjà entendu...), en fixer les contours de façon stable et les faire travailler dans des lieux regroupés, détachés du décorum royal de la vieille République.
Il y a bien d'autres propositions au fil de ces pages qui mériteraient commentaire, ce qui dépasse le cadre de cette fiche.
Des silences, aussi.
Bien sûr, un livre grand public ne peut pas tout aborder, mais quelques patates chaudes doivent être refroidies, dont certaines me semblent importantes. J'en mentionnerai ici 4 :
- Il n'est jamais clairement affirmé que l'équilibre des comptes de la nation est un objectif impératif. En est-ce un ? Pour moi, oui. Où se situe-t-il ? Le 3% du PIB me semble une escroquerie intellectuelle : 3% de déficit n'est pas un équilibre, c'est une dette qui augmente. Et comment et quand peut-on l'atteindre ? Attendre que la "croissance" revienne à l'image de ce qui se fait en ce moment est une démission et une lâcheté.
- L'Islam est un problème, car, comme il est affirmé dans le Coran et les Hadiths la loi figée de dieu (même inventée et écrite par des hommes...) domine celle des hommes. Nos coutumes, notre vie sociale et notre république disent le contraire. Or 15% des Français (par le passeport) se disent adeptes de l'Islam. Dans les 85% qui n'en sont pas, beaucoup s'interrogent et certains répondent avec les mots souvent inacceptables du FN. A mes yeux, ce n'est pas l'immigration qui est un problème, c'est la manière de faire d'un adepte de l'Islam un Français. Qu'en pense l'auteur ?
- La justice n'exerce plus sa tâche de manière équitable. Elle est devenue idéologique (exemple du mur des cons) et elle fait peur. Comment réconcilier les citoyens avec cette institution essentielle ?
- FF relève bien le sentiment de crainte généralisée qui rampe dans notre société : précaution, écologie délirante dans laquelle nos dirigeants pataugent, refus de savoir (OGM, gaz de schiste, embryons, etc.) qui renvoie les recherches et les chercheurs hors de France. Alors, que fait-on face à ces zélateurs bruyants de l'immobilisme, qui nous condamnent à devenir un musée ?
Et un désaccord.
FF ne prend pas à bras le corps le paradoxe de la construction européenne. Il en fait un acte de foi, page 257. Cela ne me suffit pas, car paradoxe il y a à dégarnir une nation de ses pouvoirs, comme l'exige la construction européenne et à prétendre pouvoir conduire une nation et ses réformes comme si de rien n'était, ce qui est l'objet de ce livre-programme.
Prenons l'exemple de l'immigration : si la Suisse était dans l'Europe, elle n'aurait plus la liberté de son action actuelle. Pourquoi la France l'aurait-elle ? Presque chaque sujet abordé dans ce livre est sous contrainte européenne. Pourquoi est-ce notre intérêt de continuer à en tenir compte dans la forme actuelle de cette Europe ?
La zone euro est un échec économique et accélère la désindustrialisation. Doit-on poursuivre ? Airbus a été possible parce que Allemagne et France se sont mis autour d'une table. Dans le cadre européen actuel, Airbus n'aurait pas pu voir le jour.
En 50 ans l'Europe n'a pas montré qu'elle savait aborder les grands changements de notre monde, tout en réduisant la marge de manoeuvre des nations. Alors ? Pour ma part et tel qu'elle existe en ce moment, l'Europe me paraît plus un frein qu'un moteur.
Au-delà de ces remarques, ce livre est utile et touche des points importants. Il est pour moi une référence, issue de la pensée d'un des hommes politiques qui comptent dans une société où on en voit si peu. Mais, peut-être se cachent-ils ?