Ishiguro flottant
 
 
Depuis l'âge de six ans, Kaguro Ishiguro, né au Japon en 1954, vit en Angleterre. En quelques romans il est devenu une figure importante des lettres de ce pays, récoltant prix et distinctions.

La lecture de ce livre ne laisse pas vraiment soupçonner que l'auteur est anglais ! Nous sommes au coeur du Japon d'après la seconde guerre, vivant, changeant certes, mais aux prises avec un problème aussi grave que celui qui avait bouleversé l'ère Meiji (l'ouverture du Japon aux méthodes de l'Occident). L'essentiel est ici de digérer un demi siècle de fanatisme nationaliste et violent, pendant lequel le Japon a cru pouvoir dominer l'Asie, fanatisme dont il avait fait la morale de son peuple.

Citons au passage l'intelligence stratégique des USA qui surent à cette époque ne pas désespérer ce pays après sa défaite et ses blessures et surent aussi, faisant la part du feu, mettre en place les institutions qui en on fait un pays fort et honorablement démocratique.


L"'artiste du monde flottant" est un peintre célèbre qui a vécu et a en grande partie approuvé la vague nationaliste des années 40. Il y a même apporté sa pierre par son art et son engagement. Il prend conscience à travers ses amis, sa famille et ses anciens maîtres qu'il s'est fourvoyé et a contribué au malheur de son peuple. De bonne foi, certes ; il se raccroche d'ailleurs à cette mince excuse. Mais cette évidente culpabilité le poursuit et modèle son existence. Il ressent chaque événement défavorable de sa vie comme un reproche, comme un acte de justice immanente. L'expiation est impossible à ses yeux, car rien ne peut faire qu'un bien désiré ait produit tant de mal. Ce roman prend alors sur un ton doux le poids d'une tragédie et nous le rend infiniment proche.

A cette quête impossible, si humaine, s'ajoute un style fait de questions à peine formulées, de retours bienveillants sur un passé à la fois heureux mais aussi fertile en erreurs et , au fond, sur l'inanité de nos idées, même les plus enracinées. Aucune violence ne perce sous cette désillusion si stoïque d'un homme qui a dévoyé une part importante de sa jeunesse. Il y a là quelque chose qui, sur le mode du roman, rejoint les 'Essais' de Montaigne.

Pour moi, un très grand livre.
 
Editions 10/18 domaine étranger (1986) - 220 pages