lacouture montesquieu
 
JL nous donne ici une très belle biographie de Montesquieu, personnage souvent mal connu. Vivant au début du 18ème siècle, Montesquieu sut détecter le profond changement des moeurs en cours à la suite de la vague de fond de l'industrie naissante et sut en dresser une analyse "sociologique" qui inspirera la pensée politique jusqu'à nos jours. Nul n'ignore sa théorie de la "séparation des pouvoirs" !

Il a, comme Montaigne 100 ans plus tôt, mis la liberté, et donc l'instabilité positive, au coeur de sa vision des institutions. Et avec elle la conviction, infiniment moderne, que la viabilité d'un état se mesure à la capacité dynamique de ces institutions à traiter les questions qui se posent et non dans la beauté ou la rigueur de son architecture, comme l'ont cru les totalitarismes. La "séparation des pouvoirs" (l'un corrige l'autre) illustre bien cette lutte permanente des forces qui établit à chaque instant un équilibre sans cesse à refaire : "En un mot, un gouvernement libre, c'est à dire toujours agité, ne saurait se maintenir s'il n'est, par ses propres lois, capable de correction". M apporte aussi cette vision neuve du dynamisme de l'activité économique, par essence instable. Sa familiarité avec l'Angleterre n'y est pas pour rien. Il perçoit que se termine un monde français aux valeurs bâties sur la terre et que l'on pouvait croire stable, voire créé tel quel par un dieu. Aujourd'hui encore des nostalgies subsistent..

Mais ce livre n'est en rien un traité de politique, même si les idées essentielles de M y sont rappelées. C'est surtout la biographie d'un homme, aristocrate lucide, assez habile en affaires (le vin) et fortuné pour être libre au point de renoncer à une charge publique prestigieuse pour mieux disposer de soi. C'est un grand plaisir de voir M sur ses terres du bordelais faire son vin et le vendre, mais aussi tutoyer les rois et autres puissants, lutiner des comtesses et déployer devant la vie stoïcisme et humour.

Il y eut peu de succès littéraires comme le sien et surtout peu qui valurent à un homme la considération qui lui fut accordée par ceux-là même qui exerçaient le pouvoir partout en Europe. Qu'il ait au passage égratigné l'église sans se la rendre hostile (elle était encore dangereuse) montre son habileté, que les princes ne surent jamais utiliser à leur profit, à son grand regret. Il est vrai que l'hommage qu'il rend à la liberté et à la raison laisse peu de place à la foi..

JL montre aussi la conception exigeante et presque réservée que M s'est faite de la démocratie, défavorablement impressionné par les modèles détraqués de Venise, Gènes ou Amsterdam. Faire de la loi l'instrument de la liberté, rendre "la planète des hommes raisonnablement habitable", beau programme qui éclaire bien la haine qu'avait M du despotisme.

JL dresse enfin un passionnant parallélisme entre M et Montaigne, autre grand gascon "stoïcien", l'un comme l'autre heureux et sans illusion.

Merci à JL pour cette piqûre de rappel pour cet homme de haute stature qui engendrera une ligne de pensée, honneur de notre pays, que représenteront ensuite Constant, Tocqueville et Aron.

Editions Points - P1348 - 390 pages