makine frontieres
 
Quelle rage ! Notre société est certes pleine de contradictions, de désirs, d'illusions et l'auteur les pointe du doigt avec délectation et bien souvent avec justesse. Est-ce une raison pour jeter le bébé avec l'eau du bain ? Et pour fulminer sur toutes les activités humaines et donc sur la nullité des hommes ? De quels rêves est-ce la déception ? Quant à la solution proposée, à la H. D. Thoreau, elle vaut ce que valent les utopies : une marche garantie vers l'horreur. Est-ce moi qui quitte AM ou lui qui me quitte ?
 
La vigueur d'AM m'avait souvent séduit. Elle s'est transformée ici en une rage noire qui prédit à l'humanité une descente aux enfers. Les attendus sont acceptables, mais les conclusions sont celles d'un esprit que la raison et l'expérience désertent. Oui, bien des individus sont des bobos infantiles, bien des institutions ou des débats sont dérisoires et inefficaces, bien des expressions de paix et d'amour sont des bouffonneries. Et alors ? Est-ce une découverte ? L'histoire, qui a connu des époques pires que la nôtre, ne nous enseigne-t-elle pas que l'action de l'homme n'est que rarement motivée par la sagesse ? Et cela n'a pas empêché une évolution qui nous ferait terriblement défaut si elle n'était pas là. Ce serait cracher dans la soupe que prétendre le contraire.
 
Cette indignation véhémente justifie-t-elle le prêche un peu puéril et naïf de notre nouveau justicier ? Qu'est-ce qui lui confère ce pouvoir de dire le bien ? Et tout cela pour nous exhorter à la frugalité, l'abstinence et l'immersion béate dans la nature sous la haute pensée d'un nouveau gourou ! Cette nouvelle utopie, comme toutes les autres (je pense au nazisme, aux communismes ou aux fondamentalismes religieux, voire à Platon) dressent une organisation, généralement totalitaire du monde, qui doit rendre l'homme heureux. A ce détail près que l'homme réel n'est pas cet ectoplasme pris pour hypothèse dans leurs calculs intellectuels. Alors, comme la théorie est vraie par construction, c'est l'homme réel qui est faux ! Et on le redresse (ou on l'abat) dans les goulags ou les camps. 
 
Monsieur Makine, réveillez-vous et restons, de grâce, dans nos frontières. C'est le seul monde que je connaisse.
 
Grasset (2019), 268 pages