L'économie et la politique peuvent-elles faire bon ménage ? A cette question, cet essai répond non, et montre la totale domination du politique (l'art de faire vivre ensemble un groupe humain, en général un État) par le fait financier, global par vocation. La démonstration serait beaucoup plus concluante s'il n'y avait pas confusion ( voulue ?) entre économie et finance. Car, autant nous savons que sans production économique abondante et les progrès qu'elle a permis, notre espérance de vie serait d'environ 40 à 50 ans liée à la dureté de la vie, autant nous devons nous interroger sur le bien fondé d'une création monétaire dont ~10% seulement sont utiles au monde économique. Quant à y voir un complot des hommes de l'ombre de la finance globale, je montrerai pourquoi cela me paraît inutile pour expliquer la situation actuelle. En dépit de ces excès, un livre utile.
Je commencerai par ce point. Je rappellerai d'abord un principe que je vous propose de toujours vérifier par vous-mêmes : les actes humains mauvais sont à près de 100% dictés non par la volonté de nuire, mais par la bêtise (ou l'ignorance, ce qui lui ressemble). Dans notre cas, les crimes commis par des nations au 20e siècle ont rendu souhaitable l'existence d'un pouvoir qui les contrôle. L'Europe est un exemple de ce genre d'institutions créées pour mettre fin à la déchéance de notre continent causée par les conflits entre France et Allemagne. La demande de régularisation globale supra nationale est évidente dans bien des domaines (commerce, monnaie, santé, travail, transports, etc.) pour ne rien dire des tentatives de régulation des conflits. Alors, comme le prétend ce livre, que cette globalisation soit la volonté de la "finance internationale" me paraît court.
En revanche, ce livre montre bien comment la finance a été un vecteur facile de cette globalisation qui a donné lieu aux excès que l'on constate aujourd'hui. La création massive de monnaie (toute monnaie créée est une dette), qui en est l'origine, n'a rien d'un acte malveillant, intentionnellement commis par les "gnomes de Zurich" ou leurs frères, mais tout simplement par l'incapacité des états à équilibrer leurs dépenses à hauteur de leurs recettes. Les USA en ont été le porte-drapeau, aidés par leur Dollar. Ceci, dans le contexte de la fin du siècle dernier où la monnaie était liée étroitement à l'économie réelle, aurait entraîné une inflation ou la guerre, ramenant automatiquement la valeur de cette monnaie à celle des actifs qu'elle devait financer. Le tour de magie que la finance globale a réalisé est de créer en plus des actifs économiques, des actifs financiers essentiellement virtuels et ne produisant pas de valeur, mais dont le rôle (rémunéré) est de de s'offrir à cette masse monétaire obèse et de la pomper. Le tour est joué et il n'y a pas d'inflation, même si une conséquence, dont le livre parle d'ailleurs peu, a été l'accroissement intolérable des inégalités de revenu et de patrimoine. Mais cette baudruche financière, en large partie inutile, que l'on continue à gonfler avec l'épidémie actuelle par imprévision encore une fois, combien de temps tiendra-t-elle ? Mais, aurions-nous dû préférer l'inflation ou la guerre ?
Bien entendu, cette folie de l'endettement des états qui est largement à l'origine de cette explosion monétaire est globale et internationale et il a fallu la réguler globalement pour assurer la fluidité financière indispensable à la création de ces actifs virtuels. D'où une inflation d'institutions (Accords et Règles diverses, BRI, FMI, MES, BCE, etc.) qui gèrent les produits financiers constitutifs de ces actifs (SPV, DTS, CDO, CDS, etc.). Le livre montre bien que cet endettement a eu une contrepartie : le glissement du pouvoir des mains des États vers leurs créanciers. Servitude douce, mais servitude du politique. J'ai toujours un sourire quand on me parle de la grandeur de l’État français : il a perdu sa monnaie (Euro et banques centrales "indépendantes"), une part de sa justice (TPI), le contrôle de son commerce international qui est encadré (OCDE), ses décisions en matière de santé (OMS), sa politique de puissance (OTAN, merci, M. Sarkozy), son droit national remplacé par le droit anglo-saxon (Europe), le contrôle de son agriculture (PAC), sa culture (UNESCO), ses équilibres financiers (FMI entre autres) et j'en oublie. Notons au passage qu'aucun de ces organes bienfaisants, dont l'Europe, n'a de comptes à rendre aux peuples. Ils sont hors contrôle démocratique et cela est jugé normal. Heureusement, il reste à la France la réfection des bordures de trottoir et le droit de faire des discours pathétiques à la télévision sur sa souveraineté ou sa désindustrialisation, synonyme de déqualification industrielle (voir EPR).
Alors, voilà où nous en sommes et ce livre a le mérite de le rappeler, même s'il y voit de noirs desseins qui me semblent une illusion. La bêtise et l'irréflexion l'emportent toujours sur la méchanceté. Hélas, d'ailleurs : l'ennemi aurait un visage qu'il n'a pas, puisque l'ennemi c'est nous et notre folie dépensière, car nous ne voulons plus supporter le poids des événements, qu'ils dépendent ou non de nos actes. Le Covid19 que nous faisons financer par la dette en est un exemple. Heureusement, nos enfants paieront...
Editions Sigest (2019), 115 pages