L'auteur joue avec brio des archétypes qui ont été des sources d'inspiration dans l'écriture des mythes anciens, comme celui d’œdipe. Meurtre du père ? Ou meurtre du fils qu'Abraham voulait commettre ? Est-ce le prix de la liberté ? À travers un récit qui se situe dans la Turquie contemporaine, l'auteur nous fait partager ses interrogations, mais nous livre aussi un roman sensible, parfois même émouvant.
On y joue aussi beaucoup avec la réalité. Rien n'y est simple, naturel. Cem va se trouver un faux père, pour pouvoir le tuer, sans doute. Il aura un fils, mais il ne le saura pas. Lequel fils ignore aussi qu'il a ce père, mais l'apprendra assez tôt pour accomplir son destin. Quant à la belle actrice rousse, lien de cette affaire embrouillée, presque mère de Cem, mais aussi sa maîtresse d'un soir, elle est une fausse rousse ! Et, en ce qui concerne le puits que Cem creuse, il reste sec tant qu'il est présent, mais se remplira d'eau après avoir "presque" tué son père et avoir fui. Cem verra sa vie changer après ce meurtre qui lui aura donné liberté, mais aussi responsabilité à assumer. Quelle histoire !
Et, malgré une certaine invraisemblance qui enveloppe comme un brouillard notre aventure, sa lecture en est attachante et notre attention ne se détourne pas. On suit avec soin le parcours difficile de Cem et son destin nous désole quand il prend un chemin sombre. Mais pouvait-il en être autrement dans l'esprit de l'auteur ?
Ce roman est aussi une occasion de mesurer ce qui nous rapproche de la Turquie, quand ce qui nous en sépare est si vigoureusement exploité par son actuel dirigeant qui déchire à plaisir les liens fragiles qui s'étaient créés avec ce grand pays.
Quoi qu'il en soit, l'auteur est un écrivain puissant qui sait conduire son texte et y entraîner son lecteur. Une belle réussite !
Folio 6840 (2016), 338 pages