wilkie dame blanc
 
Quand en 1850 on est un criminel, on y met les formes et, si on vole ou si on tue, c'est en costume trois-pièces brodé et avec une élégante désinvolture. Ce roman fut, dit-on, le premier policier de l'histoire, même si la police n'y joue pas un grand rôle. Intrigue complexe à suivre le long des méandres familiaux des personnages bien campés par ailleurs et voracité exemplaire des méchants, tout est en place pour le quadrille. Et, pour la bonne bouche, une sympathique aventure amoureuse où le beau jeune homme, pauvre, mais courageux, venge et séduit la très belle aristocrate ! J'adore. Tout cela dans un tourbillon d'inégalité des classes, des sexes et du reste, alimentant espoir et rêve chez les protagonistes. Voici donc un bien agréable récit.
 
Le roman gagne une part de son charme en nous faisant parcourir une époque que nous ne connaissons plus très bien, et cela dans le paisible climat d'une Angleterre quelque peu rigoriste. La place de chacun lui a été assignée par sa naissance et c'est sous une forme irréprochable que les méfaits des gens bien nés sont commis, les rendant d'autant plus difficiles à mettre au jour. Rien ici de violent ni de provocateur. Sous la glace, l'eau tourbillonne et bien malin qui s'en aperçoit ! Les récits brutaux de notre époque nous ont fait oublier la suave cruauté que la bienséance peut dissimuler.
 
Les portraits soignés des personnages du roman ajoutent leur part de plaisir à ce voyage incongru. Pour ne citer que quelques pièces de l'échantillon fort large qui nous est proposé, ne manquons pas de contempler le profil égoïste et sûr de son droit de F. Fairlie. Ou celui, haut en couleur, du comte Fosco, le gros méchant, si empli de sentiments contradictoires. Notre distance nous permet difficilement d'apprécier leur authenticité, mais on ne doute guère que des personnages réels les ont inspirés. Et croyez-moi, leur compagnie est un vrai bonheur, pour autant qu'ils disparaissent quand on ferme le livre.
 
Un détail m'a amusé, que je vous livre ici. L'intrigue nécessite à un moment critique que l'on identifie un personnage, excellent pianiste. Nul ne pense à lui demander de prouver par une lecture musicale ce talent qui, ne tombant pas du ciel, l'aurait identifié dans faille. On oublie parfois le pouvoir et la place de la musique, y compris comme auxiliaire de la justice...
 
Un roman passionnant, recommandé par mon libraire que je remercie de me l'avoir fait découvrir. Sans doute est-on plus proche ici du roman classique que du "polard" contemporain. Cela contribue peut-être au charme qui s'en dégage et qui fait de cette lecture un moment de plaisir.
 
Libretto (1995), 668pages