Voici un roman japonais plein de douceur et de charme qui, outre le plaisir de sa lecture, offre d'inattendues perspectives dans un univers peu fréquenté par la majorité des lecteurs potentiels, à savoir celui de l'arithmétique et tout spécialement des nombres et de certaines de leurs relations. Que cela ne vous inquiète pas ! C'est un jeu auquel va se laisser prendre une aide-ménagère, celle qui nous raconte l'histoire et son fils. Et, si nous disposons d'un reste de curiosité, nous, les lecteurs, nous nous laisserons inévitablement entraîner. La grande richesse du livre réside cependant surtout dans la relation exceptionnelle qu'établit l'aide-ménagère et son patient, le "professeur", relation où se mêlent respect, sens du travail bien fait et responsabilité. Un roman qui fait du bien.
Les digressions arithmétiques ressemblent à un jeu de vacancier qui tue le temps en répondant au quiz d'un magazine. Cependant, sous leurs airs anodins, les propositions, que tout le monde peut comprendre, mettent le doigt sur l'éternel mystère des relations des nombres entre eux et de certaines de leurs propriétés. Les caractéristiques de simplicité voire de beauté de certaines démonstrations sont évoquées, ce qui ne manquera pas de faire jouer les souvenirs de certains d'entre nous. Et tout cela sans demander au lecteur de réels efforts.
Mais la force de ce très beau roman est avant tout la relation humaine à la fois rationnelle et sensible qu'établit notre narratrice et son professeur, handicapé par un accident et dont la mémoire active est de courte durée depuis l'événement. Sa mécanique intellectuelle reste exceptionnelle ( il gagne les concours de mathématique !) mais toutes les 80 minutes sa mémoire est remise à jour. Cela n'empêchera pas l'établissement d'un rapport humain riche et respectueux de s'établir entre eux, complété par celui que le professeur noue avec le fils de la narratrice qui a une dizaine d'années. Relation gagnant-gagnant, le professeur justifiant son destin par l'enseignement qu'il apporte et le fils bénéficiant d'un précepteur personnel de haute volée.
Le livre relate aussi un ressort bien particulier de cette relation avec le fils : l'amour partagé du base-ball ! Pour qui ne s'y intéresse guère, ce qui est mon cas, les commentaires sur les coups mémorables passent un peu au-dessus des nuages... Mais, pourquoi pas ? Cela n'empêche en rien l'intrigue de dérouler son fil, tantôt farfelu, tantôt émouvant, toujours attachant. Un roman original et réussi.
Babel (2003), 245 pages