jroth grace
 
Si je n'ai qu'une affection modérée pour l’œuvre de Philip Roth, je suis beaucoup plus sensible à celle de Joseph Roth, auteur du présent livre et d'autres, passionnants, sur la fin de l'Empire austro-hongrois. Le rapprochement est non seulement lié à une homonymie qui peut prêter à confusion, mais aussi parce que l'un comme l'autre y décrivent la fin d'un monde qu'ils voient se transformer ou disparaître sous leurs yeux. Avec une nuance : Joseph décrit ici la fin du monde juif d'Europe Centrale, mais garde un espoir incarné par l'Amérique, alors terre promise, quand Philip voit cette terre promise dévoyée, mais ne discerne aucune autre issue que la contemplation de son nombril. De plus, JR possède une profonde empathie pour ses personnages et constate, sans condamner ni surtout juger leurs illusions, leurs triomphes, leurs fourvoiements. Un livre touchant et d'une grande humanité.
 
L'intrigue est un parallèle contemporain à l'histoire de Job. En dépit de sa foi et sa conduite exemplaires, les dieux s'acharnent sur ce pauvre homme qui après y avoir perdu sa famille y perdra la foi. Il était temps (remarque personnelle) ! Le lien avec ce mythe est assez lâche et n'est qu'un prétexte ici pour nous raconter la vie d'un homme simple qui subit sa vie plus qu'il ne la dirige, avec l'excuse des rituels religieux. Tout lui échappe, de la relation affective qu'il eut avec sa femme, à celle avec ses enfants, qu'il ne sait ni aimer ni élever. Tous fuiront, sauf le dernier, un enfant attardé qui reçoit à lui seul plus d'amour et de soin que les autres réunis. L'un d'eux saura habilement faire sa pelote en Amérique et permettra à sa famille d'y émigrer.
 
Tout cela pourrait faire un roman sombre et broussailleux. Il n'en est rien. L'auteur nous fait presque aimer ce vieil homme enfermé dans son espoir vain, croyant agir justement et malmené par le sort. La première moitié du roman se situe dans le petit village alors russe et devenu polonais depuis la guerre, où vit une communauté juive. On sent dans le texte une réelle émotion chez l'auteur, qui nous parle avec sensibilité de ce monde que la guerre déchirera pour toujours.
La seconde moitié du livre est le récit de l'arrivée et de l'implantation de ces gens simples dans une Amérique en plein développement. L'auteur sait habilement montrer ce que le respect des droits signifie dans ce contexte de liberté, en opposition à une Russie primitive à cet égard. C'est là, et seulement là que certains miracles peuvent avoir lieu !
 
Le dernier enfant, très en retard dans son développement, va rester au village quand les parents et les autres enfants émigreront, tant il semble intransportable. Il sera confié à une famille qui n'entreprend pas le grand voyage vers l'Amérique. Et quand notre pauvre Job, écrasé par son destin se prépare à mourir, cet enfant presque oublié sera à l'origine d'un événement qu'il n'est pas exagéré de dire qu'il ressemble à l'ouverture des portes du paradis. Un miracle ? Sans doute...
 
Ce roman écrit en 1930 et relatant des faits contemporains de la Première Guerre mondiale est un tableau vivant d'un monde disparu, mais conserve une actualité humaine totale. Il est ainsi proche de nous dans sa compassion souriante face à la vie de pauvres gens, face à leurs chagrins et leurs joies. Rien n'a changé, si ce n'est la forme. Un très beau livre.
 
Le Livre de poche 3052 (1930), 253 pages