Joseph Roth (1894-1939) est Autrichien, un peu Polonais et juif, conscient de la montée de la barbarie après la chute des Habsbourg. Il publie en 1930, ce roman, transposition contemporaine et en Russie, du mythe de Job. Remarquablement écrit et précis (un roman HD !), ce texte magnifique conserve à nos yeux actuels, toute son humanité sensible.
Pour un croyant, c'est le Dieu qu'il révère qui le met à l'épreuve et le récompense, ici ou au-delà. La raison se révolte devant les lois impénétrables du dessein divin et leur cruauté, mais cette révolte est inutile et blasphématoire. La situation de JR, outre ses drames personnels, est en effet celle, par exemple de Stefan Zweig et pose la question du "pourquoi" de tant d'injustice. A cela aucune réponse rationnelle pour celui qui a la "grâce", autre que la soumission à son sort, soumission qui donne un sens à ce destin, mais aussi paix et réconfort, en dépit du poids qu'elle représente.
Pour un non-croyant, cette passivité est folle et indigne. Au lieu de se poser la question, naturelle, mais absurde, d'un "pourquoi", c'est celle d'un "comment" qui se pose. Comment en arrive-t-on là ? Des réponses rationnelles, au moins partielles, existent alors. Lisez, par exemple "George Mosse - Les racines intellectuelles du Troisième Reich".
JR sent bien que la révolte de Job est aussi l'expression d'un espoir. Celui que l'homme sait aménager par ses actes, au moins une partie de ce destin. Peut-être est-ce le sens de la fuite qui permettra de reprendre pied. Non, tout n'est sans doute pas dans les mains de l'éternel. Le poids de l'absence de grâce sera-t-il moins lourd que celui de la grâce ? Sans doute pas, mais il rendra à l'homme sa dignité.
Et c'est avec une infinie sympathie pour ses personnages que JR nous convie à les suivre, dans leurs oeuvres et dans leur pensée si souvent blessée, sans trancher la question spirituelle ici posée. Un livre émouvant et la description précise, détaillée, d'un monde qui s'éloigne.