veltz saclay
 
"Genèse d'un grand projet"
 
Ce livre tout à fait particulier est passionnant pour qui s'intéresse à la manière dont notre pays prépare un aspect de son avenir et aux difficultés que cette préparation rencontre. Il s'agit ici de l'historique du projet "Paris Saclay" raconté de première main par le président de l'Établissement Public en charge du projet de 2009 à 2015, c'est-à-dire pendant des années de grandes décisions. Merci à lui d'avoir eu le courage d'effectuer ce travail d'historien qui l'oblige à rappeler à certains leurs responsabilités, mais nous fait surtout partager ce domaine des décisions d'aménagement, extraordinairement complexe et mal connu. Presque une épopée !
 
Rappelons d'abord le contenu du projet qui veut donner à la France un pôle scientifique efficace, capable de compter dans les grandes unités mondiales. Car la France aujourd'hui en a disparu, en dépit de performances ponctuelles. On sait depuis longtemps déjà que, sauf en mathématiques (et encore !), la recherche n'est plus individuelle et que le développement technologique est une source permanente de fécondité. Or la France est cloisonnée à l'excès : écoles/universités, recherche/industrie, monde scientifique/monde financier, recherche publique/recherche privée, etc. Paris Saclay a pour objet ce décloisonnement, hypothèse faite (jamais explicitement, d'ailleurs) que nous disposons encore des compétences scientifiques, techniques, économiques et financières pour cela. En tout cas, le temps est compté.
 
Le projet est immense. Par exemple, la surface concernée par les 49 communes en jeu est 3 fois celle de Paris intra-muros. L'implantation du Centre nucléaire de Saclay dans les années 50 avait préservé cette immense surface de l'urbanisation par crainte de l'accident nucléaire ! C'est une chance exceptionnelle de pouvoir bénéficier aujourd'hui de cet espace proche de Paris, qui peut être remodelé dans l'objectif choisi. Le livre montre comment se forme progressivement le contenu et les procédures de décisions d'un tel projet, auquel on comprend, à la lecture du livre, combien il aura été difficile de préserver le cap assigné, compte tenu des pressions centrifuges.
 
La complexité administrative s'imagine facilement. Communes (maîtres des PLU) et leurs divers regroupements, départements, région, ministères divers, procédures intriquées, associations, conflits de pouvoir, caractères des protagonistes, idéologies quasi religieuses, etc. Quelle chance que l'Europe n'ait pas été partie prenante et n'ait pas ajouté sa part de complexité ! Il est d'ailleurs intéressant de se poser la question du caractère européen ou non de Saclay, ce que le livre ne fait pas. C'est une réponse que je partage. Le récit des combats menés est passionnant et montre bien le rôle déterminant de certains hommes pour que les choses aboutissent quand, parfois, l'issue semble impossible à trouver.
 
Mais, au-delà de ces complications administratives en existent d'autres. Les articulations scientifiques sont-elles adéquates ? Comment, outre le financement du projet lui-même et dans un pays (et en particulier sa communauté scientifique) qui ignore et souvent méprise le monde financier, comment, donc, se fera le financement des développements ? Ce point est hélas peu abordé dans le livre et me semble pourtant une clé du succès éventuel de Paris Saclay. La cession d'ARM en septembre 2020 (composants électroniques UK stratégiques) aux USA, sans qu'aucune force européenne ni nationale ne s'y substitue, montre bien l'impuissance de l'Europe actuelle d'une part et la déshérence stratégique des pays (dont la France) face à cette prédation. Comment serait-il possible d'attirer le succès sans attirer l'argent pour le construire ?
Le livre aborde aussi un point essentiel du projet : faire de Paris Saclay un lieu de vie et non une zone industrielle de plus. L'affaire n'est vraiment pas gagnée et je suggère aux lecteurs de faire un tour sur place, au quartier "Moulon", par exemple. On y constatera l'absence totale d'attractivité de ces lieux austères, en dépit d'implantations déjà anciennes (Centrale/Supelec) et de plus mal entretenues. Polytechnique avait déjà souffert de cette tristesse urbanistique, qui contribue sans aucun doute à sa notoriété faible hors de France. On constate à cette occasion, combien les schémas préexistants sont forts et leur carapace solide.
 
Il faut rendre hommage à ceux qui, comme l'auteur, ont eu une vision stratégique, le caractère et l'endurance pour surnager dans le flux sans fin des préjugés, des idéologies, des luttes personnelles, mais aussi dans un univers administratif inadapté à de tels chantiers. La France est un vieux pays qui croit toujours que la lutte est une voie collective de décision comme une autre. Il est admirable que Paris Saclay en ait, pour l'instant, triomphé. Seul l'avenir dira si les ingrédients du succès sont réunis. On ne peut que le souhaiter, car de telles opportunités sont rares.
 
Pour ceux que l'avancement du projet intéresse, le site de l'Établissement Public (EPAPS) donne des informations récentes.
 
Parenthèses (2020), 166 pages