barbery rose
 
Ce voyage au Japon m'a charmé. Sans doute ai-je bénéficié d'une connaissance (bien partielle) de ce pays, car la description de lieux visités autrefois créait en moi une résonnance heureuse. Sans pour autant aller au-delà de ce que les mots peuvent dire ou évoquer. Cela m'a d'ailleurs frappé de constater combien rien ne remplace l'immersion personnelle qui engage ce que je suis au moment où je me pose au cœur d'un lieu et où cette alchimie particulière d'un site et d'un moi produit son essence volatile. 
Quant à l'intrigue qui est à l'origine de ce voyage, elle se joue sur un clavier curieusement accordé qui combine des tonalités d'arrogance, de malheur, de chance, de fortune, de pouvoir et de désir, façonnant ainsi une symphonie un peu décousue, voire artificielle à la Charles Ives. Tout cela dans une très belle écriture qui fait de cette lecture un vrai plaisir.
 
Ah, le Japon ! Nous le voyons ici à travers une édulcoration un peu intellectuelle qui tend à gommer tout ce qui s'est produit depuis qu'il s'est ouvert au monde. Ce merveilleux pays issu des cultures chinoise et coréenne a su, sans doute grâce à son insularité, créer une société absolument originale qui a été confrontée au milieu du 19e siècle à l'incroyable efficacité du monde industriel naissant. Cette ouverture traumatisante l'a sauvé de l'esclavage, mais au prix d'une dilution culturelle aux effets parfois délétères, magnifiquement décrits par des auteurs comme Soseki ou Tanizaki. De cela, pas un mot ici. Nous sommes face au vieux Japon filtré fin. Il convient de ne pas prendre cela pour le Japon actuel, même si, dans la vie courante, cette trace d'un exceptionnel passé passé reste indélébile.
 
L'histoire est celle d'une jeune femme, mal dans sa peau, dont le père qu'elle n'a jamais connu, japonais, a fait fortune et vient de décéder. Elle est fille unique. Elle se précipite, curieuse et intéressée dans un pays dont elle ignore tout, mais qui en huit jours va la transmuter de la phase amorphe en une phase d'éveil intense. Vous y croyez, cher lecteur ? Moi oui, je me suis laissé prendre et j'ai même été (un peu) ému. Chez les vieux, un rien suffit, vous savez ! Mais j'oublie l'essentiel. La belle (on la dit fort avenante) est aidée dans cet éveil par un cicerone légèrement boiteux (il a vécu) mais très beau, très triste et à la répartie aussi cinglante que les apostrophes de la belle enfant lorsqu'elle daigne s'exprimer, ce qui n'est pas souvent le cas. La consolation du beau mâle blessé n'est pas loin. Jouez, violons.
 
Une petite frustration : le père semble avoir été un grand marchand d'art japonais contemporain. Pourquoi n'en avoir presque rien dit ? Pourquoi n'avoir jamais fait pressentir un personnage autrement qu'à travers des bribes un peu intellectuelles qui concernent ses goûts ? Ce n'était pas un dieu que je sache pour qu'on n'ose qu'à peine mentionner son empreinte ? Cela n'intéressait pas sa fille, qui semble totalement indifférente à ce qu'il fut et ne pose aucune question à son sujet. Et qui apparemment se moque bien de l'art contemporain. Dommage, j'aurais appris quelque chose. Un peu court.
 
Un point amusant : c'est presque toujours autour d'un repas au restaurant que se nouent les échanges des deux futurs éveillés. Pas trop Kaiseki, plutôt Ramen, avec exceptions. Promenade intéressante dans un monde que nous réduisons trop aux sushis ou aux brochettes. Qui peut croire que la cuisine italienne se résume aux pizzas ? Disons au passage que le Japon est un pays où l'on mange agréablement, ce qui pour un français veut dire qu'il ne peut pas être absolument mauvais !
 
Ainsi, lecteurs curieux d'un monde mal connu et souvent sous-estimé, plongez-vous sans réserve dans ce Japon idéal et même si l'intrigue ne vous conduit pas au nirvana, votre curiosité sera néanmoins émoustillée. Un livre charmant !
 
Actes Sud (2020, 158 pages