tingyang tianxia
 
"Tout sous un même ciel"
 
Ce livre passionnera ceux qui, comme moi, ressentent profondément que l'intérêt du monde et donc de notre communauté humaine ne peut plus être géré équitablement par un système politique où le pouvoir suprême est celui des nations. La finance, les échanges économiques, la santé, la technologie, l'écologie, pour ne parler que d'eux, sont mondiaux et les États les plus puissants s'efforcent de les contrôler à leur profit. Or, l'État étant la limite supérieure de la puissance politique, ces domaines mondiaux se développent sans autre loi que les tentatives d'accord, fragiles et provisoires entre États, toujours orientés par leurs intérêts et à la merci du dernier caprice d'un dirigeant. Retrouver la voie de l'intérêt général est ce que propose ce livre, à travers une philosophie politique chinoise ancestrale. Encore le discours aurait-il été plus probant si la Chine avait mieux réussi ce pari politique !
 
Les États-nations ne défendent pas les intérêts du monde
 
Le pouvoir suprême des États-nations était une évidence quand ils représentaient l'étape la plus élevée que puisse atteindre un groupe humain cohérent, en devoir d'assurer son autonomie. Il devait alors disposer du pouvoir politique pour être en mesure de la rendre durable et assurer la cohérence nécessaire. Mais aujourd'hui, aucun État ne dispose plus de cette autonomie ni en matière de ressources, ni en matière financière, ni en matière technique, ni en matière de santé, ni en matière d'éducation, ni en matière culturelle, etc. Ceux qui jouent ce jeu, comme la Corée du Nord, restent des nains et croupissent. Et, même les plus grands, comme les USA et encore plus la Chine dépendent critiquement des échanges mondiaux. La conclusion est que la rationalité qui supportait l'infaillibilité politique des États-nations est éteinte. Peut-être même, la cohérence nationale qui les fondait mériterait-elle aussi d'être bien appréciée. Quel État aujourd'hui, du plus petit au plus grand, ne découvre pas des failles profondes qui sapent son unité ? Et quand on constate combien ces failles sont  souvent provoquées par la pénétration du mondial dans le national, on peut craindre qu'elles n'aient que tendance à s'élargir avec le temps et la dépendance réciproque.
 
Tianxia
 
Le livre expose ce que signifie Tianxia. Ce concept de coopération bienveillante à un ordre mondial ne nous est pas familier. Comme le montre l'auteur, d'autres formes de coexistence sont possibles, mais l'expérience montre qu'aucune ne remplit les objectifs assignés à un ordre idéal, alors que Tianxia, s'il est viable, est supposé y parvenir. Tianxia est d'abord un idéal d'harmonie qui à l'époque Zhou était inspiré de l'ordre du ciel, apparemment immuable. Notons au passage que les progrès du savoir ont montré combien cette image d'immuabilité était illusoire et combien notre univers est en bouleversement permanent ! Cette harmonie doit aussi se fonder sur des valeurs universelles  qui assurent à la fois la coopération des hommes vivants, mais aussi ceux à venir. Cette prise en compte "institutionnelle" des mutations dues au temps est essentielle dans cette pensée. Parmi ces valeurs, notons un équilibre des partages des richesses du monde et une compatibilité des principes adoptés avec les valeurs culturelles diverses, en opposition avec notre principe de "tolérance" qui n'est qu'un point de vue d'une culture sur une autre.
 
Tianxia en Chine
 
Le livre procède ensuite à un exposé de l'histoire chinoise, essentiellement son histoire ancienne, qui ne peut que passionner ceux que ce pays intéresse. Il est clair que la diversité des ethnies qui la composent pose à ses dirigeants de sérieux problèmes de compatibilité. Il est clair aussi que le principe du Tianxia a toujours été présent dans les systèmes politiques réels. Il est clair, enfin, que jamais le Tianxia n'a tenu la durée. Faiblesse des hommes, faiblesse du principe ? Un idéal permet rarement une construction réaliste, même si à l'inverse une construction réaliste sans idéal n'est qu'une mécanique sèche, vouée à se gripper.
 
Tianxia dans le monde ?

Le dernier chapitre tente de montrer ce que la connaissance des principes du Tianxia peut apporter à ceux qui cherchent à trouver une solution au problème politique menaçant évoqué au début de ces lignes. Peut-être est-ce justement de l'avoir mis si bien en évidence que nous devons être reconnaissants à cet essai politique. Sans oublier que les principes du Tianxia évoqués ici ont en eux-mêmes du poids, même si, sans doute, ils sont incomplets.
 
 
Éditions du Cerf (2018), 325 pages