"Le roman de la Bibliothèque d'Alexandrie"
Voici un roman, presque historique, plein de charme et d'intelligence, écrit par Jean-Pierre Luminet, par ailleurs astrophysicien. Il se déroule en 642, au moment où Alexandrie vient de capituler face à l'expansionnisme arabe et quand le Calife Omar, victorieux, mais fanatique, veut brûler le contenu de la fameuse bibliothèque. Le raisonnement, qui n'est pas indigne d'une certaine chrétienté, est à peu près le suivant : tout est dans le saint Coran. Si les livres répètent ce qui y est déjà contenu, ils sont inutiles. S’ils disent autre chose, ils ont tort. Dans les deux cas, brûlons-les ! Mais le général arabe Amrou, qui vient de faire la conquête de la ville, va prêter l'oreille aux défenseurs des mille ans de culture couchés dans ces rouleaux et il n'y sera pas insensible. Une belle histoire, racontée avec légèreté et qui nous permettra de croiser quelques grands destins de l'antiquité.
Le roman est presque historique, car les auteurs des documents de la bibliothèque d'Alexandrie, Grecs ou Romains pour la plupart, n'ont pas toujours laissé des traces précises de leurs vies, même s'ils ont largement contribué à l'histoire de la pensée. Alors l'auteur leur taille un costume acceptable pour nous en parler et les rendre vivants, ce qu'il réussit admirablement. Il inventera même une mathématicienne de charme, Hypatie, double de la célèbre Hypatie d'Alexandrie, qui vivait 250 ans plus tôt, martyr déjà, du fanatisme religieux chrétien.
L'intrigue est simple. Sachant que le trésor que contient la bibliothèque est à risque face à l'invasion et croyant qu'Amrou a le pouvoir d'éviter sa destruction, trois savants, dont Hypatie, vont tour à tour raconter à Amrou l'histoire de ces rouleaux et de leurs auteurs et tenter de dégager des motifs valables aux yeux d'Omar pour ne pas les détruire. Pour pimenter le tout, Hypatie va se sacrifier à Amrou, bien consciente qu'un raisonnement a plus de poids s'il est aidé d'une belle chute de reins. C'est fort heureusement encore vrai de nos jours !
Quoi qu'il en soit, c'est pour nous, lecteurs, l'occasion d'en apprendre beaucoup sur ces penseurs de l'antiquité, comme Archimède ou Aristarque de Samos et bien d'autres, qui ont fondé les principes de notre pensée scientifique et ont contribué à faire avancer le savoir humain, remettant, non sans mal les dieux à leur place. C'est à eux que nous devons la structure de notre culture européenne. Les faire vivre sous nos yeux avec simplicité est un grand moment que nous offre ce roman très réussi.
JC Lattès (2002), 302 pages