veyne empire romain

 

Du Maroc à l'Afghanistan, un empire mondial a existé, il y a 2000 ans, dont la cohésion n'était due ni à la contrainte, ni à la monnaie, ni à la religion, qui, seules, auraient été débordées. Cela mérite certainement respect et admiration, mais ni l'un ni l'autre de ces sentiments n'aident à comprendre pourquoi il en a été ainsi, ni pourquoi cela a cessé après une réussite de plus de 1000 ans. C'est ce que ce livre remarquable, accessible à tous (avec un petit effort !), permet de se représenter.

 

L'architecture du livre est originale. PV y aborde 13 sujets en autant de chapitres. Il balaie ainsi autour d'un point focal les lignes de force et les limites de cette civilisation. Il le fait en exposant des faits que son immense culture permet de relier entre eux pour faire sens. Ce monde prend alors peu à peu consistance à nos yeux, non par des affirmations doctes, mais par une sorte d'imprégnation progressive. Mais, rassurez-vous, PV sait toujours, au bon moment, apporter une proposition de synthèse utile.

Il va sans dire que la lecture de ce livre est aussi un prodigieux enrichissement pour le lecteur, tant pour la compréhension du phénomène romain, que comme référence pour notre appréciation des événements contemporains. Les hommes n'ont pas changé. Seuls leur savoir et leur puissance ont cru, sans les transformer en tant qu'êtres politiques. Fétichisme dérisoire de l'Euro, désespoir d'un Islam en échec, Afrique à la dérive livrée à la violence, Chine en surchauffe prête à exploser, USA noyés dans leur dette, etc. Quels progrès de société avons-nous faits depuis Marc-Aurèle ?

Il est bien évident que résumer cet essai est impossible. S'il a fallu 880 pages à l'auteur, Professeur au Collège de France, disposant de la culture et des références historiques, sociétales, artistiques et politiques nécessaires, c'est que le sujet est vaste. Alors, proposons quelques lignes fortes seulement et laissons au lecteur le plaisir de la vraie découverte.

D'abord, gréco-romain, pourquoi ? Parce que la Grèce, sa langue, sa culture, ses dieux ont été la matrice de cet Empire. Matrice désirable, espérée par chaque peuple qui conservait néanmoins ses lois propres, à commencer par Rome et le droit romain. Le sac de Rome par les wisigoths d' Alaric en 410 a pour cause non la haine des romains, mais au contraire la déception des wisigoths de ne pas être acceptés comme candidats à l'Imperium en dépit des services rendus. De même, 'univers de l'époque était de culture grecque : Bouddha l'est encore dans sa représentation, même si son concept ne pouvait naître qu'en Asie, un peu à l'image d'un Japon actuel totalement occidentalisé, mais profondément japonais.

La sagesse de cette structure impériale et sans doute le secret de sa solidité auront été de laisser à chaque peuple, justement, le soin de s'organiser politiquement et de conserver une relative liberté en échange de quelques règles impériales. Rome n'était ni totalitaire ni coloniale. Elle n'était pas non plus tolérante, ce qui n'aurait eu aucun sens pour elle. Elle apportait une forme d'idéal qui, lorsqu'il était associé à la prospérité liée aux échanges et la protection de Rome, valait d'y prendre part, d'y consentir. Qu'en ait découlé ce que nous appelons à tort "tolérance" sur les sujets secondaires (religion, droit et pouvoir locaux, etc.) est bien établi. Ce n'était pas de la tolérance, car Rome ne désapprouvait en rien ces structures locales. Elles étaient au contraire le ciment de l'Empire.

Nous sommes toujours frappés, à la visite de sites romains (et il y en a un nombre considérable en bon état !) par la valeur de l'architecture, de l'urbanisme, de la sculpture, de la peinture, des mosaïques de cette civilisation. Notons au passage que leur rayonnement était aussi celui de Rome, où chacun savait reconnaître le sien propre que son appartenance à l'Empire lui conférait. Art de faste ? Pas seulement, comme le montre la décoration privée des villas, par exemple.

Notons aussi, au passage, l'excellent chapitre sur l'art romain et son évolution, qui conclut le livre. Qu'en 1000 ans les formes de cet art aient évolué n'est pas une surprise. En revanche, l'analyse qu'en fait l'auteur est intemporelle et riche et vaut souvent pour notre propre époque.

C'est un magnifique cadeau que PV nous fait avec ce livre, infiniment plus riche que ce que ces quelques lignes laissent supposer. A lire au calme, éventuellement avec un petit cognac et une bonne pipe au coin du feu. Et un crayon pour prendre quelques notes...

 

Seuil (2005) - 880 pages