bronner apocalypse
 
Le cerveau : une boîte noire ? De moins en moins. Ce livre bien documenté met en évidence les critères qui régissent l'usage de notre temps de cerveau disponible, temps qui a considérablement augmenté depuis une cinquantaine d'années. Or, en même temps, l'usage massif d'internet comme moyen d'échange d'information a fait voler en éclats les filtres qui caractérisaient encore récemment l'information disponible. C'est ce que l'auteur appelle la dérégulation cognitive qui conduit aujourd'hui à un dévoilement (apocalypse) d'une partie de nos fonctionnements cérébraux et donc de notre nature humaine, avec des conséquences sociales néfastes. L'auteur conclut à la nécessité d'une nouvelle régulation à construire, tâche à venir de la réflexion politique.
 
Le temps de cerveau disponible augmente
 
Le fait majeur que souligne cet essai est que la combinaison des évolutions techniques et sociales a donné à l'homme un temps disponible qu'il n'avait jamais connu dans l'histoire. Débarrassé des tâches de survie et bénéficiant d'une productivité qui a beaucoup crû, l'homme quitte l'époque où sa vie était rythmée par des obligations vitales. Il découvre alors une liberté dans tous les domaines et en particulier dans ses choix cognitifs, ceux de l'usage de son cerveau pour s'instruire et échanger de l'information avec ses semblables.
 
L'offre d'information se fait sans règles
 
Or, en même temps s'est ouverte la possibilité, en particulier grâce aux "réseaux sociaux", de démultiplier l'offre d'information, permettant de rendre public à grande échelle ce qui autrefois serait resté oral, privé. Ainsi l'offre, sur le marché cognitif, a cessé d'être le privilège des producteurs d'information par l'écrit et du journalisme où des règles professionnelles étaient acceptées. Le filtre de la compétence, du travail, des moyens et de l'éthique a explosé, submergeant cette offre par celle du ressenti immédiat et des croyances de chacun sur tout, dont la trivialité et le contenu dérisoire semblent souvent être la règle. À cela s'ajoute une production pléthorique d'offre de distraction qui a voulu profiter de cette disponibilité d'attention.
 
L'homme se repose sur ses instincts primaires pour ses choix
 
La conjonction de ces deux faits a révélé (l'apocalypse !) que loin de préférer l'information élaborée, c'est ce qui est source d'excitation immédiate qui a triomphé. Le cerveau humain est ainsi construit par l'évolution, qu'il donne un poids considérable au sexe (reproduction de l'espèce) et à la peur ou au conflit (prévention des dangers). Et c'est pourquoi, dans ce marché cognitif dérégulé, ce sont les informations basées essentiellement sur ces caractéristiques qui vont concentrer l'attention du cerveau. Ce choix se fait alors au détriment des informations plus intellectuelles (culture, éducation, réflexion politique par exemple), qui contribuent au développement de la société. 
Deux conséquences en découlent. D'une part, l'homme réel n'est pas l'idéal illusoire, avide de culture, des fondateurs d'internet. Et, d'autre part, l'offre d'information suit l'attente des consommateurs réels, conduisant à ce que l'on constate sur nos écrans et favorisant une bouillie informationnelle où croyances et faits se mélangent conduisant à une anomie sociale qui devient dangereuse et incapable de préparer l'avenir.
 
Que faire ?
 
L'auteur décrit ensuite les réponses actuelles de la société face à cette constatation. Une première réponse, rousseauiste, est celle que l'homme est dénaturé par la civilisation. Elle a une certaine importance de nos jours. Un autre pôle est la réponse populiste qui statue que c'est ce citoyen pris sous toutes ses facettes, dont celles-ci, qui fonde une société et qu'il faut donc l'écouter avec soumission. L'une comme l'autre de ces visions simplistes, mais actives à notre époque, sont dénoncées par l'auteur comme des impasses. N'étant pas lui-même un homme politique il ne propose pas une sortie politique de cette crise, mais il est évident à la lecture du livre qu'il attend une nouvelle forme de filtre cognitif qui ne soit pas uniquement basé sur ce qu'il y a de plus animal en nous. Rude tâche, que la classe politique a à relever ! 
Un beau livre de réflexion, qui ne conclut pas. Le pouvait-il ? Il se lit facilement, même s’il n'évite pas des répétitions qui l'alourdissent un peu.
 
PUF (2021), 386 pages