boniface ai
 
"Comment la révolution numérique va bouleverser nos sociétés"
 
Ce livre possède un titre un peu trompeur. Ce n'est pas un livre consacré à l'Intelligence Artificielle, mais plutôt un livre sur l'invasion des techniques digitales dans nos existences. Il insiste sur le fait que leur maîtrise échappe au contrôle démocratique. Celui-ci s'arrête en effet aux frontières des États, alors que les techniques digitales sont par essence mondiales. Les sociétés US qui les développent échappent d'ailleurs pour l'instant largement, elles aussi, à l'État américain. La Chine semble avoir défini pour les siennes une politique plus cohérente, même si elle nous heurte parfois dans ses choix. Ce court ouvrage, très accessible, pose beaucoup de bonnes questions, sans d'ailleurs y répondre vraiment. Mais, qui le peut quand avantages et inconvénients se balancent si bien ? Le choix est politique et non technique et la réflexion politique semble à la peine dans la conduite des affaires occidentales ! Une réponse, pour l'instant, appartient donc à la Chine.
 
L'auteur n'est pas de formation scientifique et le reconnaît. Ses considérations portent donc sur l'usage et l'impact sociétal des techniques digitales. Il a également un penchant politique qui colore un peu ses propos qui me semblent parfois discutables. Mais il est heureux que ces sujets difficiles soient traités avec des perspectives politiques diverses quand elles n'aboutissent pas à des affirmations idéologiques, ce qui est le cas. Au fond, bien souvent, le débat porte sur l'opposition entre le bénéfice de ces techniques et leur restriction des libertés individuelles. Il serait illusoire de prétendre que les avantages collectifs (santé, sécurité, efficacité économique, pour l'essentiel) sont accessibles, sans restriction de ces libertés individuelles. Mais jusqu'où faut-il aller ? La Chine a fait ses choix de privilégier le collectif quand l'absence de choix à l'Ouest aboutit à une certaine anarchie et une soumission douce aux intérêts des GAFAM et à l'invasion de produits chinois. Qui a raison ?
 
Ce texte contient de nombreux passages bons à méditer. Choisissons-en deux.
L'un est le débat sur l'optimisation fiscale faite par les GAFAM qui est un abus de pouvoir même si, pour l'essentiel, il respecte les lois fiscales nationales. Là éclate l'absence de pouvoir capable de traiter les points, comme celui-ci, qui échappent aux États. Notons au passage la faiblesse d'une Europe ayant fait le choix stupide à mes yeux de ne pas uniformiser sa fiscalité. L'Irlande, adepte du bradage fiscal, en profite, contre l'intérêt de l'ensemble. 
Le second point est l'hypersensibilité à la liberté individuelle qui caractérise l'Occident. C'est sans doute un des facteurs importants d'inégalité et de désordre social et, probablement, une menace sur la démocratie, laquelle ne fonctionne pas sans l'acceptation sereine de voir son pays dirigé par un parti qu'on n'a pas choisi. Or, l'anarchie des réseaux dits sociaux favorise des clusters d'absolutisme intransigeant dont le danger commence à être perçu. Même si ces réseaux ont parfois eu un rôle salvateur.
 
Les deux derniers chapitres portent sur la très grande faiblesse de la France et de l'Europe dans le digital, livrant ainsi nos pays à des entreprises étrangères capables de rendre un service que nous ne savons pas produire, restreignant ainsi notre liberté. Là aussi, les choix politiques n'ont pas eu lieu quand il était temps au nom parfois d'un libéralisme non interventionniste, mais surtout par incompétence à la fois des dirigeants trop "littéraires", mais aussi sans doute des entrepreneurs européens. Dans le désordre : expatriation des jeunes pousses, chercheurs fonctionnarisés et sous-payés dont les bons s'exilent, vente de sociétés stratégiques (et ça continue !), fiscalité peu attractive, marchés financiers des licornes inexistant, court-termisme dominant, non-réinvestissement des dividendes, la liste est longue. J'ajouterai pour ma part que je ne peux m'empêcher de rire (et d'enrager) quand je vois le temps perdu à ergoter sur l'éthique de l'IA, quand on ne maîtrise pas sa technique. Qui irait demander à un enfant de 5 ans son avis sur l'IVG ?
 
Un ouvrage facile à lire et qui pose bien des questions importantes.
 
Eyrolles (2021), 208 pages