Ce récit, écrit en 1982, décrit avec une grande sincérité de propos l'amitié de l'auteur et de Paul Wittgenstein, neveu du philosophe Ludwig. Cette amitié est profonde, mise en pratique chaque jour, et trouve son harmonie dans une communauté de pensée et d'esprit rare. B T.,conscient de la fragilité de cette amitié exceptionnelle, sait bien qu'une telle amitié se gagne chaque jour. Il a là dessus des passages très sensibles et très justes.
Mais, c'est aussi (et surtout) une recherche de la condition, du statut social, de l'homme malade ou en déchéance physique. Là aussi, T.B. débat un problème fort pénible, celui de la solitude où s'enfonce le malade, à cause de sa maladie. Solitude physique, bien sur, mais aussi de l'intelligence qui, privée de la relation aux autres s'enferme et se gâte. Rien ne surmonte cette barrière de la maladie : tous fuient, par exemple, Paul, le brillant mondain et brillant philosophe. Même l'auteur, son ami lui même malade, le fuit, effrayé par l'image de la mort qu'il voit attachée à Paul. Bien pire encore est la relation entre le malade et les "bien-portants", que décrivent quelques pages effrayantes ( 65 à 69 de mon édition).
Le style enfin est original ; souvent haletante la pensée se déroule dans un long, très long souffle. Les mots se précipitent, ont du mal à sortir, et leur sortie en fait naître d'autres qui se bousculent, créant parfois des répétitions presque entachées d'obsession.
On peut, en conclusion, se sentir étranger à ces hommes, voir même mépriser un peu le gaspillage de leurs talents, leur totale dévotion à leur ego. Mais n'est-ce pas justement ce vide qui se crée entre les "bien-portants" que nous sommes et des héros malades et à l'esprit affaibli ? C'est de cette barrière là que nous parle Thomas Bernhard. Éditions Folio (2323)