L'auteur raconte, avec infiniment de douceur et de poésie, un événement dramatique vécu par un homme et sa fille fuyant un régime qui les broie et les criminalise. Leur vie est en jeu et le chemin d'une éventuelle issue est étroit. Alors que le père, mathématicien, est conscient de l'enjeu, sa fille, 8 ans, perçoit cette fuite comme une aventure, riche d'incidents et d'imprévus. Double regard, où la volonté du père a permis cette fuite, mais où le réalisme enjoué de l'enfant la rend tolérable et sans doute même tout simplement possible. Un très beau livre, bref et touchant.
À cette ligne générale de l'intrigue s'ajoute la tragique histoire d'amour qu'a vécu le père et dont il ne saura jamais se départir. Horreur garantie pour celui qui a été conduit par le régime à monter lui-même le piège qui devait lui ôter la moitié de sa vie. Le roman dévoile doucement la cruauté de la machination, mais refuse l'indignation ou l'étalage émotionnel. Les faits suffisent au lecteur pour établir lui-même la charge qui permet de qualifier le crime. Dictature communiste dirigée par des voyous et humanisme ne font pas bon ménage.
Un autre aspect du roman, qui lui vaut d'ailleurs son titre, est fort original. C'est une réflexion sur la mémoire et sa conservation. Comment en classer le contenu, la garder vivante ? Quelle place faut-il lui donner ? Faut-il trier ? Son poids, parfois excessif, permet-il de continuer à vivre et, au pire, de repartir ? Tous ces petits coffres-forts où s'enferme le passé sont bien lourds...
Il faut lire ce bref roman qui déroute parfois le lecteur par ses références à une culture que nous ignorons pour la plupart. Mais on ne peut pas s'en extraire sans partager, avec émotion, l'humanité qui s'en dégage, portée par une très belle écriture et une douceur poétique rare.
Gallimard (2021), 208 pages