Ce très bref roman, doux et personnel nous parle avec sensibilité de ce que notre mémoire retient de notre passé. Il nous parle aussi de notre "désir d'oubli" qui nous cache une part sans doute considérable de nous-mêmes et en particulier de notre enfance. Mais il met surtout en scène avec émotion les instants très courts où nous traversons un point singulier d'harmonie parfaite, peut-être de bonheur, qui ne s'oubliera jamais. Rien ici ne révolutionne ce que nous avons déjà lu, mais c'est si bien dit !
Les premières "nouvelles" du roman décrivent en quelques mots choisis certains de ces instants intenses où comme le dit l'auteur, "le chagrin est très près de la joie". Un moment, porteur d'une joie intense, devrait-il condamner la banalité des temps ordinaires ? Et, faudrait-il, en vivant de tels contrastes, éprouver du chagrin pour autant ? Ce serait, me semble-t-il, être en retard de sagesse...
La dernière partie, plus longue, porte comme titre celui du livre, "Nulle part". Elle relate ce qu'on pourrait appeler un combat de mémoire de l'auteur face à ses racines, qui, justement, ne sont nulle part. Issue de parents ayant fui d'exil en exil, ballottés, utilisant des langues de survie, la petite Yasmina n'a pas de langue maternelle ni ne possède cette masse de conventions et de mythes, qu'on appelle culture d'origine. Un vide que ne remplissent pas quelques photos ou quelques souvenirs épars de cette enfance qui a pourtant bien eu lieu. Sans ce socle, il lui a certainement été plus difficile de se construire, ce qu'elle exprime parfois avec une nuance de regret. Faut-il y voir un rejet inconscient de ces temps révolus ? Je ne le pense pas. L'expérience de la vie a suivi son cours et a permis à la petite Yasmina, avec beaucoup d'indépendance d'esprit et de lucidité, de devenir le grand écrivain qu'elle est.
Je dois avouer qu'un tel roman, très littéraire, ne me touche pas très profondément, malgré sa beauté formelle. Il y manque, me semble-t-il, quelque chose de moins exceptionnel, qu'on partage d'instinct et qui, pour moi, signe un grand livre. Il joue aussi massivement avec l'émotion, qui n'est qu'un volet fragile de notre entendement. Mais peut-être suis-je un peu trop exigeant ?
Albin Michel (2005), 78 pages