On ne lit plus beaucoup Colette et c'est dommage. Ce roman paru en 1922 est un journal d'événements souvent minuscules, que le talent de l'écrivain magnifie. Peut-être est-ce la langue, éblouissante, qui frappe d'abord. Mais très vite, on est emporté par ce qu'elle exprime si bien, un amour sage et heureux de la nature et de la vie. Chacune de ces 35 courtes histoires est l'occasion de le célébrer, y compris quand, comme avec La petite Bouilloux, la chance passe. Nostalgie certes, mais aucune vindicte ; le monde est beau et le reste. À notre époque d'indignation d'enfants gâtés, une telle sagesse enjouée deviendrait-elle un délit ?
D'abord un mot sur l'écriture de Colette. J'avais oublié que l'on pouvait écrire ainsi. Les phrases sont précises, construites et chassent, autant que faire se peut, l'ambiguïté. On comprend deux choses en lisant cela. Le français a été la langue de l'exactitude, parfaitement adaptée aux activités de la raison, comme la science ou la diplomatie. Nous avons quitté ce rivage ! Par ailleurs, une part de cette précision est due à un vocabulaire dont l'amplitude ne manquera pas d'étonner le lecteur qui recourra parfois au secours d'un dictionnaire. Ainsi, ne soyons pas surpris qu'on ne lise plus Colette. Ce n'est pas "daté", c'est qu'on ne sait plus notre langue qui s'enfonce dans le confort et l'imprécision des langues asiatiques.
Mais il convient surtout de voir ce que Colette fait de cet outil qu'elle manie si bien. Ici, pas d'intrigue qui retienne le lecteur. C'est la capacité de l'écrivain à nous faire complices d'un instant qui prime. Complices enchantés de mille petites choses dont, d'habitude, on parle peu. Il est impossible de résumer ici ce qu'elles sont, objets, humeurs, petites vies, disputes, peurs passagères, espoirs, gouttes de pluie, déceptions, etc. En quelques minutes de lecture, un climat s'installe qui nous convainc et nous touche. Un stoïcisme heureux.
J'ai aimé ce livre parfaitement sincère et qui ne s'embarrasse pas d'un protocole marketing pour se vendre. Ne citons personne. Bien entendu, ce roman ne traite pas du sexe des anges ni de l'essence de l'être. Mais peut-être en dit-il beaucoup plus qu'il n'y paraît si on le lit avec empathie, comme ce fut mon cas.
Le livre de poche (1978), 158 pages