mandel station eleven
 
Voici un roman policier/anticipation qui a eu un très grand succès. Peut-être espérais-je trop ? C'est un livre agréable qui ne déçoit pas, mais qui n'emporte pas très loin. Le thème est celui d'une pandémie (bien qu'écrit en 2013 !) qui tue plus de 99% des hommes et laisse un pays dévasté, du type de celui rêvé par les écologistes déclinistes. Plus d'énergie, plus de production de bien ni de services, plus d'écoles, plus rien de ce qui avait accompagné la civilisation. Chacun pour soi et, comme disait Hobbes, la guerre de tous contre tous (*) ! Des communautés survivent, dont une itinérante, de musique et de théâtre, qui veut sauvegarder ces deux arts. Que c'est difficile à croire dans un monde détruit, où la violence est la règle ! Et ce choix de donner des spectacles dans de telles circonstances est discutable. J'aurais plutôt monté une école pour que ce savoir ne se perde pas. Mais, soit. On se laisse prendre au récit qui nous promène agréablement.
 
Je suis globalement déçu, non par le roman, plutôt sympathique, mais par la pauvreté de la réflexion que la situation dramatique suscite chez l'auteur. On patauge dans une société de consommation qui vit sur les stocks ramassés ici ou là et plante quelques patates. Mais pas une seule ligne de l'auteur n'aborde la réflexion stratégique, politique, qui serait incontestablement le fait d'individus normaux dans une pareille situation. Sauf, bien sûr, si le virus a fait le tri et que ne restent en vie que les imbéciles. Ce qui semble un peu le cas quand on voit, par exemple, le peu d'attention portée par les survivants à leurs habitations ou à leur avenir, plus de 10 ans après le drame. De même, pas une ligne consacrée à l'éducation ni à la collecte ou à la transmission du savoir, celui-ci étant pour faire bref, ce qui me semble distinguer l'homme de la bête. Or ce savoir est évidemment en danger de se perdre très vite !
 
Le style est plaisant, mais un peu compliqué par un jeu des moments du récit qui forment parfois un puzzle un peu gratuit. C'est sans doute très chic, mais est-ce utile ? Un nombre élevé de personnages passent, mais je ne me suis senti en véritable empathie avec aucun d'entre eux. Heureusement, car nul ne saura ce que l'histoire leur réserve, sauf exception. Le livre, après son quota de pages, se dilue dans l'évanescent et se termine dans le silence. Un seul espoir, qui pour certains sera une crainte, matérialisé par quelques lumières qui semblent s'être allumées dans une lointaine colonie. Pas de chance, donc ; nous sommes tombés sur le journal des mauvais. Les bons sont ailleurs et c'est justement leur histoire et leur façon de construire leur avenir qui m'aurait intéressé. Je crois que je vais demander un tome 2 à l'auteur !
 
Rivages (2016), 480 pages
 
(*) Je montre d'abord que l'état des hommes sans société civile (quel état peut être nommé l'état naturel) est rien sauf une guerre de tous contre tous ; et que, dans cet état, tous ont le droit de toutes choses.
On constate ici que, aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun pour les maintenir tous dans la crainte, ils se trouvent dans l'état qu'on appelle guerre ; et qu'aussi cela se tient en une guerre de tous les hommes contre tous les hommes […]. Dans une telle situation il n'y a pas de place pour une activité humaine ; car les fruits qu'il pourrait récolter, sont incertains: et par conséquent, il n'y a là aucune économie rurale, aucune navigation, aucune utilisation des objets de luxe qui doivent être introduits de l'extérieur ; pas de bâtiments commodes ; pas de machines, avec lesquelles de plus grands frets peuvent être déplacés ; pas de savoir sur la forme de la terre ; pas d'historiographie ; pas d'inventions humaines ; pas de sciences ; pas de société, et le pire, une crainte continuelle et le danger de mort violente ; et l'homme mène une existence solitaire, misérable, difficile, sauvage et brève.
Leviathan (1651)