Ce récit donne chair et muscle à un personnage historique un peu lointain, Jacques Coeur, qui a vécu au 15e siècle et a laissé un magnifique palais à sa ville de Bourges. Si l'on s'est tant soit peu intéressé au personnage, disons d'emblée que ce récit n'apprend pas grand-chose au lecteur qu'il ne sache déjà, mais il le met fort bien en scène.
Certes, bien des choses seront précisées, mais toujours avec ambiguïté entre l'histoire (le livre est bien documenté) et la fiction qui comble les lacunes historiques. Par exemple, le titre d'"argentier" du roi Charles VII prend ici un sens pratique et vivant. Mais surtout, le personnage est en situation, avec ses doutes, ses contraintes et l'exercice de sa liberté de marchand, puis de banquier.
Ce virtuel fait toute la valeur du roman, comme dans un jeu pour PC. Le décor est là, pour partie inventé, mais crédible et bien balisé par ce que l'on sait de Jacques Coeur. Une vie exceptionnelle s'y déroule, à laquelle nous pouvons participer plus intensément qu'avec un livre d'histoire, factuel, mais moins vivant.
Jacques Coeur a vécu le début d'un monde nouveau, celui de la bourgeoisie, des marchands et d'une finance au service du commerce et de l'investissement. Ce que le monde féodal ne comprend pas, n'imagine même pas. La classe noble des siècles suivants sera d'ailleurs aussi aveugle et restera prédatrice et inutile jusqu'à sa disparition d'un monde qui se sera fait sans elle. Ce récit fait vivre cela et l'auteur en fait à mes yeux, le point fort de son livre.
Et puis ce roman nous fait, sinon aimer, du moins s'inquiéter pour un personnage de chair et d'os, qui choisit ses amis, combat ses ennemis, aime, souffre et jouit. Il a ses faiblesses et en particulier une folie des grandeurs qui suscitera la jalousie des puissants, jusqu'à sa perte.
L'écriture de JChR est agréable, facile à suivre et il faut lui en savoir gré, car il ne cherche pas à nous attirer par une forme éblouissante qui cache, comme chez certains un manque de fond. Le fond est là, plein de fraîcheur directe dans le tumulte d'une époque un peu oubliée. Epoque importante, car elle fut, pour notre civilisation, celle où liberté et responsabilité individuelles naissantes allaient servir de fondement aux institutions démocratiques à venir et qui nous régissent encore.