Ce livre est le récit du combat que mène et perd un écrivain de plus de cinquante ans, célèbre et noble. Ce combat, qu'il identifie fort bien en lui trouvant de solides références mythologiques grecques, est celui d'un homme qui refuse les forces dionysiaques qu'il ressent en lui lorsqu'il tombe sous le charme d'un adolescent du même sexe que lui.
Cet homme a conduit sa vie sous l'empire apollinien de l'ordre et de la raison. Il en a tiré gloire, anoblissement et respect général. Il est ainsi totalement désarmé pour faire face à cet autre aspect de lui-même qu'il a toujours étouffé et sombre dans le délire et l'autodestruction.
Ce récit est le combat de Thomas Mann contre ce qu'il refuse en lui. Sa description des rites dionysiens (p.97/98) est une caricature que l'on pourrait croire inspirée par un croyant fondamentaliste. Au lieu d'y voir une part de soi à maîtriser, il y voit "luxure, frénésie et déchéance" imposée par le "Dieu étranger", Dionysos, alias une espèce de Satan ! Dans de telles dispositions d'esprit la chute est proche, on pourrait presque dire souhaitée, tant elle paraît insurmontable.
Autant cette éthique d'aveuglement me semble une erreur et une impasse, autant le livre est remarquablement écrit et construit.
Editions Fayard - Le livre de poche