kerangal canoes
 
L'auteur écrit en 4e de couverture avoir conçu Canoës comme un roman en pièces détachées. Je ne suis pas certain que ce roman les ait toutes assemblées. La promenade de l'une à l'autre est agréable et parfois touchante, mais ces récits partiels n'ont ni la force d'un roman ni la précision percutante que peut avoir un recueil de nouvelles. Les passerelles entre les éléments sont subtiles et les éléments eux-mêmes sont souvent des traces, des souvenirs, des fumées. Il faut, je crois, pour apprécier ce livre, une sensibilité littéraire qui me fait sans doute défaut. Il s'agit néanmoins d'un livre qui se lit bien, comme une promenade au milieu des arbres sans que l'on perçoive s'ils appartiennent à une même forêt.
 
Je mettrai à part la nouvelle centrale, "Mustang", plus construite. Elle rapporte quelques moments de la vie d'une femme, compagne d'un homme qui prend un job aux USA dans une ville peu excitante. Cette femme souffre de l'exil et a du mal à donner une direction et un sens à une liberté nouvelle pour elle. Avoir la responsabilité de son temps quand le rythme imposé par le travail a cessé est pour elle une épreuve, alors qu'elle est seule, parlant peu la langue du pays et ne sachant pas conduire. Qu'elle est donc confortable la servitude du travail qui fixe le chemin ! L'apprentissage de la liberté est rendu avec sensibilité, même s'il me semble que le choix de la chute aurait pu être plus réaliste et donc plus convaincant.
 
Les autres brèves pièces sont des scènes où la voix, les mots, les paroles sont mis en scène dans les circonstances ordinaires de la vie sociale. Chacun y retrouvera des moments vécus plus ou moins bien, plus ou moins agréablement. Soit. Mais en dépit du talent de l'auteur, de son style élégant et précis, le sentiment de piétinement domine. Aucune conclusion, ni même de voie de pensée n'émerge. Tout est conçu pour l'émotion immédiate et laisse place à bien peu de recul. La tentation de quitter ce brouhaha invertébré est parfois forte. Je sais que cette technique est à la mode, qui consiste à tout déverser devant le spectateur en le laissant se débrouiller. Tendance que je trouve démissionnaire, mais que l'on retrouve par exemple dans la muséographie contemporaine. Soyons clairs : ce n'est pas de mon goût.
 
Peut-être le sujet intéressant de l'échange vocal aurait-il nécessité d'autres méthodes que la voie littéraire qui me semble ici stérile. Apprécions néanmoins la qualité d'écriture dont fait preuve l'auteur. Un feu de paille.
 
Verticales (2021), 171 pages