singer blasphemateur
 
Ce recueil comporte quinze contes prenant leur sève dans la vie de l'auteur, d'abord en Pologne dans la communauté juive des années 30, puis à New York où il a dû émigrer. Ce qui touche particulièrement ici est cette description vécue d'un monde qui, aux dires même de l'auteur, était déjà en rapide évolution avant la guerre. Monde nourri d'une foi inébranlable, aux rites suivis avec conviction, mais plein d'humanité, de chaleur et raconté ici avec un humour en demi-teinte permanent. Quant aux contes et à leurs intrigues, le talent narratif de l'auteur éclate dans ces pages, tant dans les récits sensibles et réalistes que dans d'autres, plus chargés d'imagination, ou même de fantastique. Un livre profondément original.
 
Ce qui caractérise une littérature puissante me semble être sa capacité à évoquer l'universel en racontant un cas particulier. On ne manquera pas de trouver dans des nouvelles comme "Dr Beeber", par exemple, une telle caractéristique. À travers les interrogations de cet homme sur sa relation à sa liberté, c'est des nôtres qu'il est question. Et cela dans des situations concrètes et sans spéculations inutiles ni recherche d'émotion excessive. D'autres contes, sur d'autres sujets, comme celui qui donne le titre du recueil, ont la même qualité.
 
On se laissera, ou non, emporter par les aventures fantastiques en général assez sombres que comporte ce recueil, même si elles sont toujours portées par un humour sans faille. "M'amuser avec les vivants, mais aussi avec les morts, a toujours excité mon imagination", écrit-il ! Alors, partons avec lui et son imagination pour voir comment dansent les cadavres... On ne risque pas de s'ennuyer, même si l’on peut trouver ces nouvelles un peu moins réussies que les précédentes.
 
Un point me frappe chez cet homme, fils d'un rabbin proche du hassidisme et dont la vie a été imprégnée de religion. Il montre d'un côté la qualité et la force des communautés qui en sont issues, mais ses propos laissent percer ses doutes intellectuels sur le rapport entre ces croyances et la réalité et sur la pertinence de cette approche sociale dans un univers en mutation. On ressent à chaque page sa sympathie pour ces convictions, en même temps que sa perception de leur caractère artificiel et peut-être déraisonnable. Déchirements que de nombreux hommes ont nécessairement connus.
 
Un très beau livre, profond et humain, qu'on ne peut qu'apprécier.
 
Stock (1968), 312 pages