francqueville aimee
 
N'hésitez pas à fréquenter ce roman historique d'une structure classique, habile, bien écrit et qui nous emporte dans un temps que nous ne fréquentons plus guère, celui de la Restauration après la saignée napoléonienne. Aimée, jeune aristocrate rudement éprouvée par la vie, mariée à un voyou criminel coureur de dot qu'elle a fui, puis enceinte d'un amour de jeunesse, doit disparaître pour survivre. Elle le fera en Martinique à une époque qui voit croître la contestation de l'esclavage, rétabli par Napoléon. Cette vie aux Antilles aux charmes évidents, mais aux colons inquiets de l'avenir de leurs plantations et fermement ancrés dans leur morale terrienne, parfois aristocratique, est l'atout majeur de ce roman. À cela s'ajoute une intrigue fort bien structurée qui nous entraîne. Une agréable lecture !
 
L'intrigue est en effet bien construite, menée par l'écriture par Aimée d'un journal historique de ses tourments, destiné à l'enfant qu'elle porte. On sait qu'elle a été terriblement malmenée par le sort, mais c'est ce journal qui révèle progressivement la vérité et nous tient en haleine jusqu'à sa conclusion qui sera d'ailleurs aussi celle du livre. On notera la coquetterie qui refuse un trop beau rétablissement d'Aimée et ajoute, avec une goutte de sang, une incertitude de dernière minute sur son sort.
 
L'auteur dresse quelques profils d'aristocrates qui valent le détour. Aveugles à l'histoire qu'ils ne comprennent pas, ils s'accrochent à des privilèges qu'ils croient rétablis, mais que l'esprit du temps a définitivement rejetés, au point de manifester des comportements  violents,  presque mafieux. Les vraies valeurs de l'aristocratie sont loin ! Il est vrai qu'elles reposaient sur les principes du monde rural où la terre est source de toute richesse, quand le commerce, puis l'industrie sont en train de bouleverser cela. Ce que, au passage, l'aristocratie française n'avait pas vu, ou pas voulu voir, et qui l'a, à mes yeux, disqualifiée dans sa fonction sociale. Aimée, qui l'a compris, réussira sa vie matérielle, tout en conservant des règles de vie qui l'honorent.
 
L'autre apport important du roman est cette mise en situation de l'esclavage, bien entendu inacceptable, mais qu'il est facile et un peu gratuit de vilipender aujourd'hui. À l'époque, son usage était un ingrédient presque naturel de l'existence, que l'Église, d'ailleurs, après l'avoir accepté autrefois, condamnait alors du bout du goupillon. L'auteur montre bien, par le comportement d'Aimée, opposée à l'esclavage, le poids considérable de l'opinion face à son jugement personnel et le courage nécessaire pour faire front à cette opinion générale. Pour avoir pour un temps de ma propre existence jugé acceptable l'intolérable, je comprends cela et je crois que sont des imbéciles prétentieux ceux qui ne le comprennent pas, wokes et autres anticolonialistes primaires. L'esclavage est devenu absolument intolérable, mais il ne faut pas nier le bouleversement que posait alors sa mise en question. Le roman le montre bien et l'auteur traite ce point avec beaucoup d'humanité.
 
Ajoutons à cela les magnifiques descriptions des paysages de la Martinique et la belle langue du roman. Alors, ne manquons pas cette agréable occasion de lecture !
 
Editions Cyrano (2021), 301 pages