kerdellant meilleurs
 
"Ils se croyaient les meilleurs..."
 
Pour avoir travaillé 30 ans dans l'industrie, je sais combien les livres de management sont faibles, qui font passer leurs hypothèses pour des lois, lois incomplètes ou approximatives, vouées à disparaître quelques années plus tard. Rien de tel ici. Le livre est un recueil de faits vécus, replacés dans leur histoire. Tous tournent autour de l'erreur managériale et de ses conséquences qui vont d'un produit raté à la disparition de la firme. Ces aventures nous concernent tous, car l'entreprise est le lieu de création de richesse matérielle de notre société, richesse dont dépendent notre confort, notre santé et notre sécurité. Le livre est écrit de manière alerte par une journaliste qui sait de quoi elle parle. Un livre réussi, à recommander sans réserve, en particulier à ceux qui se destinent à l'entreprise.
 
Le livre est structuré par classes d'erreurs, de celles sur le produit ou son timing à celles sur les stratégies proches du délire. Cette structure facilite la lecture, en particulier à ceux qui sont peu familiers de cette face du monde des affaires. Il est certes toujours plus facile de comprendre le déroulement d'un plantage après coup. C'est bien ce que fait cet essai, non pour critiquer, mais, justement, pour comprendre et aider ceux qui le lisent à éviter sa répétition quand ils auront à agir. De plus, les mécanismes qui président à ces erreurs dépassent le cadre de l'entreprise et sont souvent très voisins de ceux qui nous conduisent à l'erreur dans notre vie privée ! Cela m'a souvent frappé à la lecture du livre et je dois dire, m'a souvent fait sourire.
 
L'auteur apporte une véritable valeur ajoutée en ne se contentant pas d'exposer des cas. Une vraie réflexion va naître ponctuellement au fil des pages pour donner au récit une dimension supérieure. Un exemple : le chapitre 10 met en évidence une évolution vers des entreprises "financières" où la passion de l'entrepreneur n'est plus son produit, ses clients, ses employés et ses fournisseurs, mais la rémunération à court terme de ses actionnaires auxquels il s'identifie, sans s'être oublié au passage. Un véritable bouleversement de la façon de manager ! Le livre contient bien d'autres réflexions aussi intéressantes, sans que jamais l'auteur ne se dresse en donneur de leçons, conscient que la critique est aisée...
 
Ce livre aborde aussi, toujours par des cas, la situation particulière des entreprises françaises où l'État joue un rôle important. On conviendra vite que les résultats sont mauvais. Les nominations de dirigeants, certes brillants, mais sans expérience industrielle, sont légion (X ENA n'est pas un brevet de bonne conduite !) et les contrôles sont inexistants entre amis. Les pires dérives de la BNP datent de la nationalisation socialiste ! L'entrisme à la française est une plaie qui saigne encore. Une anecdote (que le livre ne mentionne pas) est l'abandon par Giscard, conseillé par Ambroise Roux, de la technique des "paquets" dont disposait alors la France en exclusivité, bradée aux Américains et qui a été le fondement d'internet. On lira avec intérêt le livre Éric Reinhardt, Comédies françaises, qui relate cette erreur et dont on parle bien peu !
 
Malgré quelques longueurs, ce livre est extrêmement riche et rappelle combien l'erreur est la règle quand on agit. Ce qui l'est moins, mais la transforme alors en succès, est le bénéfice qui peut en être tiré quand l'erreur reste sous contrôle et vient renforcer l'expérience. Là aussi, bien des exemples, comme celui de Apple, appuient cette constatation. L'erreur ne porte donc pas en elle l'essence du mal ; encore faut-il que les conditions de sa mise en évidence et de sa transformation soient présentes dans l'entreprise. L'auteur termine d'ailleurs sur une note positive en constatant que la situation semble s'améliorer en France à ce point de vue chez les jeunes entrepreneurs. Acceptons-en l'augure, car après les erreurs vécues, le statut et l'indépendance de notre pays ne résisteraient plus longtemps à la désindustrialisation actuelle !
 
Poche (2018), 528 pages