Un voyageur, profondément citoyen du monde, décrit avec nostalgie son périple avec sa femme, à la frontière de la Russie et de l'Europe, dans des lieux chargés des bouleversements historiques que nos actuelles frontières résument un peu vite. Et, derrière les peuples déracinés et les massacres idéologiques ou religieux passés aux blessures visibles, il recherche une humanité simple et frugale en voie de disparition.
Ce récit de voyage a beaucoup de charme. L'auteur est un écrivain voyageur intelligent et sensible et sait relater ce qu'il voit, sans emphase ni préjugé. Ses pas vont le mener en 2008 de la mer de Barents (extrême nord de la Norvège et de la Finlande) à Odessa (Ukraine) en passant par la Russie, les pays baltes, Kaliningrad, la Pologne, la Biélorussie et l'Ukraine. Six mille kilomètres que nous avons la chance de visiter à travers son regard vif et ouvert !
Ces régions sont, encore aujourd'hui, le limes russe et, comme telles, lieux de conflits. La Russie a eu et a encore deux grandes préoccupations : l'accès aux mers libres et la protection contre les envahisseurs de l'Ouest, contre lesquels elle a exigé de tout temps une zone de protection qui couvre les pays mentionnés. La tension actuelle entre l'Occident et la Russie est due à la promesse faite par l'Occident en 1989 de préserver la neutralité de ces pays, promesse bafouée par l'Europe, dont la politique étrangère s'est alignée sur celle des USA par faute de moyens d'indépendance et d'imagination politique. Ne soyons pas surpris et ne nous trompons pas sur l'origine des fauteurs de troubles. PR montre bien les conséquences de cette situation en matière de frontières, visas, passeports, barbelés, etc.
Mais surtout, ce sont les hommes qui sont au coeur des préoccupations de PR. Victimes des guerres et des déplacements de populations du siècle passé, ils survivent à ses yeux, désabusés, dans une recherche de satisfactions locales et immédiates, eux pour qui les nations ont été source de ruines et de mort. Le soleil brille, profitons-en. Il reste un verre de vodka ? Parfait. Ma grand-mère disait la terre plate ? C'est moins dangereux que les lendemains qui chantent, etc. Renaissent alors la diversité humaine, les langues, les coutumes du lieu, les costumes, les origines et les mythes.
On ne peut pas lire cela sans éprouver le sentiment d'un immense gaspillage et d'un peu de honte pour les contre-performances de notre espèce. Doit-on, pour autant, céder à ce conservatisme, ce passéisme qui ferme l'espoir ? Au lecteur de former son jugement après réflexion et loin des fausses vérités des médias et de nos dirigeants, stratégiquement faibles, soumis et rongés par le court-terme.
Il n'en reste pas moins que ce livre est vivant, bien écrit et nous fait découvrir ces pays sous un angle original dans leur vie actuelle. Il nous fait aussi réfléchir, car celui qui a pris conscience du rôle critique que la Russie joue et jouera dans la vie politique internationale ne peut pas rester indifférent à cette partie du monde qui la sépare et l'unit à nous en même temps. L'Europe a, encore une fois, raté son rôle lors de la crise ukrainienne. C'est portant de son sort immédiat qu'il s'agissait... Pauvre Europe qui n'a trouvé, comme stratégie face à la Russie, que le reniement de sa parole, sur ordre.
Folio 5410 (2011) - 340 pages