Alain Juppé a toutes les caractéristiques d'un bon papa sévère, un peu raide, mais qui se fait respecter. Belle image pour 2017 ? De plus ce qu'il dit n'est nigénidé°, en général frappé au coin du bon sens (denrée encore disponible, mais en petites quantités) et surtout très factuel : "voici ce que je vois, j'en déduis que..." Il ne parle pas à l'émotion, ce poison de notre siècle, ce qui pourrait lui coûter quelques voix. Un Etat fort ? N'est-ce pas un pléonasme lorsqu'on voit l'Etat comme autre chose qu'une machine à redistribuer ?
On pense immédiatement à la position internationale de la France à la lecture du titre. Ce n'est pas cela. Il s'agit ici du rapport de l'Etat démocratique et de ses citoyens, de ce qui doit leur être donné, assuré, pour en recueillir le droit de les gouverner et leur donner l'envie d'être ensemble. Deux termes dominent la réponse d'AJ, la sécurité intérieure et la justice. Sans un service régulier de ces deux attentes, un Etat ne peut pas être fort, c'est à dire respecté, voire aimé de ses citoyens et donc constituer un ciment d'unité. Or, sur l'un et l'autre de ces postes, l'attente n'est pas satisfaite, sans que ce soit imputable à l'un ou l'autre des deux partis qui se sont partagé l'Etat. Une facilité paresseuse, inspirée par les social-démocraties à l'européenne, à conduit à la situation actuelle d'un Etat décrié, mal aimé, tout sauf "fort". Et pourtant, les récents drames ont bien montré l'attente des Français, chez au moins une partie de la population, pour un Etat qui les rassure, qui les unisse, un Etat imprégné d'une composante nationale certaine.
La sécurité intérieure, d'abord. Autant les attentats que la délinquance quotidienne sont en cause. Leur croissance réelle et ressentie donne aux citoyens la conviction que l'Etat ne fait pas ce qu'il faut, même s'il fait ce qu'il peut dans son cadre idéologique de "catholiques zombies", comme le dit Emmanuel Todd dans son livre controversé, idéologie où les droits de la victime sont souvent subordonnés à ceux du criminel. L'urgence est de disposer d'une police disponible et efficace, avant même d'attaquer une stratégie à plus long terme sur les causes profondes de cette situation. AJ propose là une panoplie de réformes pratiques dont la liste est longue : organisation administrative, coopérations entre polices, renseignement, zones de non-droit, etc. Le fil conducteur est de rendre aux polices les moyens de leur mission première qui est la présence sur le terrain : moins de 30% actuellement !
La justice, ensuite. Les dysfonctionnements sont publics, tant dans la magistrature du siège idéologisée (le "mur des cons" a fait du mal), que dans le ministère public. Récidives, peines non appliquées, travail de la police bafoué, prisons insuffisantes et indécentes où on pratique la remise de peine pour ne pas avoir à construire de nouvelles prisons, etc. AJ passe ces situations qui déconsidèrent l'Etat en revue et fait des propositions de bon sens et souvent simples à mettre en oeuvre. Encore faut-il le vouloir, ce qui depuis longtemps n'a pas été le cas. Il est tellement plus simple d'avoir de beaux principes que de faire le travail !
L'entretien avec Natacha Polony précise ces propositions, les rend plus accessibles et donne aussi d'AJ une image plus directe et plus humaine. Les deux points abordés sont difficiles, mettent en cause le contenu même du pacte social et le "ya qu'à" populaire ne le perçoit évidemment pas. L'exercice est difficile et mérite les mises au point que cet interview apporte.
Un essai fort intéressant, mais qui appelle en complément une vision plus stratégique et plus long terme que AJ apportera sans doute dans ses prochains ouvrages.
° Ni de gôche, ni de droite (et encore moins FN).