Pour vivre, même pour un théorème, il faut d'abord naître. Mais comment cette fécondation, puis ce long mûrissement se produisent-ils ? Des coups de théâtre, des pauses, des redémarrages improbables et pourtant souvent réussis, des erreurs, stériles ou fécondes, une communauté qui veille, des dates promises et difficiles à tenir, voilà un cheminement difficile que CV nous fait parcourir en nous tenant la main. Passionnant.
Il faut accepter d'emblée qu'à la lecture du livre, certaines pages d'équations, certains échanges de mails, soient des objets de contemplation sensibles et ne soient pas destinés à la compréhension. Comme un tableau, une phrase de sonate, par exemple. Frustrant ? Ni vous ni moi ne sommes en possession de l'outil mathématique de décodage et c'est très bien ainsi, car il faut bien que certains, comme vous et moi, emmènent les vaches aux prés (fields en anglais, avec un petit f). Ca n'empêche absolument pas de vivre, avec CV, son cheminement, jusqu'à son couronnement, avec empathie et même émotion.
N'oublions pas non plus que CV, même s'il court plus vite que la moyenne, a une vie "normale" (oh, le vilain mot, pourri par la politique !), dont il parle avec discrétion. Une épouse, des enfants et une vie de famille que ses recherches en pleine nuit, ses voyages incessants, sa nécessaire fixation sur le but à atteindre, ont probablement rendue moins normale qu'il n'y paraît. Rendons au passage hommage à Claire, son épouse, qui a assuré.
Notons aussi combien l'image du mathématicien, qui un beau matin se réveille avec LA solution et hurle "Eureka !" est loin de la réalité. Ce n'est pas une oeuvre de méditation où on se berce de l'illusion que tout est au coeur de notre nombril. Comme toute discipline humaine, la recherche est une oeuvre collective, faite d'échanges, d'incompréhensions, de conflits, de désirs, d'émotions. On pêche une idée ici, on la développe, on en parle un peu, on se fait secouer, on reprend, on s'énerve, on renonce pour avoir honte de renoncer, on a une idée complémentaire, etc. Processus long et frustrant qui ne se déroulerait jamais jusqu'au bout sans ces échanges. Mais sans oublier non plus qu'à un moment critique quelqu'un et lui seul, mène la synthèse à son terme.
Ami lecteur, précipitez-vous. Il y a là plus de place au rêve que dans une oeuvre de Boulez, plus de raison d'espérer de notre espèce que dans la gestion de la crise financière. Merci Cédric Villani !
Pour les curieux : L'article de Clément Mouhot sur le sujet du livre.