Ce livre magnifique fait avec sensibilité et sans effet, le récit de la trahison par son parti et par sa machine exterminatrice, d'un citoyen ordinaire qui avait la foi du charbonnier dans son idéal communiste et dans ses célèbres dirigeants. Peut-être l'auteur exorcise-t-il aussi les fantômes de son passé ?
La "Grande Terreur"
Le sujet n'est pas une révélation. En juillet 1937 et pendant 1 an et demi, allait se dérouler la "Grande Terreur" où Staline, entouré de cette pègre que les régimes terroristes ou totalitaires savent faire sortir du trou, a fait fusiller en cachette 750000 concitoyens, sans doute pour la plupart innocent de tout crime. Les charniers, dont il est encore politiquement correct de ne pas parler, sont peu à peu découverts. Il fallait des têtes en URSS, pour donner un semblant d'explication aux échecs économiques du système, qui d'ailleurs en mourra en 1989. A cette époque, comme on le disait, tous les citoyens étaient coupables et le rôle de la Guépéou était de distribuer des crimes. Comme Hitler qui a perdu la guerre technique en tuant ou en faisant fuir ses ingénieurs juifs, Staline a sans doute fait sombrer son régime en tuant son intelligentsia, politiquement dangereuse pour lui.
La foi qui ne sauve pas
On comprend bien dans ce livre que le communisme relevait de la foi et non de la raison. Le héros, ingénieur météorologue, fait un parcours initial honorable et prend des responsabilités élevées dans la météo soviétique. Un jour, sans doute, il gêne un peu un subalterne qui convoite sa fonction. Alors, une petite vacherie va essayer d'arranger ça. Elle marche mieux que prévu et conduit notre météorologue en camp d'extermination. Bien entendu, c'est une erreur et notre héros va, est-il persuadé, obtenir sans délai le rétablissement de ses droits, car le parti ne peut pas se tromper. Il obtiendra une balle dans la nuque et sera retrouvé dans un charnier de la région d'Arkhangelsk, à Sandarmokh en 1989. Jusqu'au bout il croira que Dieu (pardon Staline et/ou le parti) qui est infiniment juste et bon va le secourir. Ses lettres, jour après jour, le répètent. La foi qui aide, même si elle trompe ?
Même un communiste peut être un homme...
Ces lettres du goulag disent aussi autre chose de profondément touchant. Il avait une fille, sa "petite étoile" à qui il était singulièrement attaché. Chaque courrier était l'occasion de maintenir le lien d'affection qui l'aidait à vivre. Alors, il avait décidé de contribuer à son éducation en dessinant des animaux, des plantes, en les décrivant et parfois même en les utilisant pour lui faire comprendre l'arithmétique, la géométrie, etc. On ne peut pas regarder ces dessins retrouvés et reproduits dans le livre sans être ému.
Séduction des idéologies
Ce roman n'est pas un traité de démonologie stalinienne, mais le récit sensible d'un destin qui nous rappelle la fragilité de la béatitude démocratique, notre faiblesse devant les idéologies et l'absence de "lanceurs d'alertes". La France, par ses penseurs aveuglés, a participé à la honte qu'était l'idolâtrie communiste et indirectement à ses crimes. Aujourd'hui encore rien n'est fait pour ramener ces hommes au rang d'infamie qui est le leur, voisin de celui des adorateurs du nazisme qui ont, en revanche, été stigmatisés. Ni eux, ni l'église n'ont fait leur travail.
Bien sûr, penserez-vous, encore un livre sur les horreurs du stalinisme. Oui, mais il est bien écrit, simple, attachant et ne théorise pas. Il mérite notre lecture.