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Ce roman a été inspiré par la vie de Dmitri Chostakovitch (1906 - 1975). Même s'il s'agit d'une fiction, il reflète de façon vraisemblable le destin de ce compositeur qui a vécu dans l'enfer soviétique. Il est, à mes yeux, un des musiciens les plus profonds et des plus représentatifs du 20e siècle.

 

Comme d'autres intellectuels avant et après lui, Chostakovitch a eu à faire un choix face à un régime totalitaire. Rester dans son pays, près de ses racines, ou fuir à la recherche d'un peu d'air pour vivre et créer ? Ce choix est déchirant et l'exil peut parfois conduire au pire. Stefan Zweig s'est suicidé au Brésil, par exemple. Alors, faut-il rester et subir les humiliations des imbéciles dogmatiques pour qui l'homme est une matière première comme une autre, malléable à merci ? Certains l'ont choisi, comme Chostakovitch ou Fürtwangler. Que subissent-ils ? Que se passe-t-il dans leur esprit et leur coeur ? C'est ce que ce roman propose de côtoyer et d'essayer de comprendre.

JB met remarquablement en scène la vie quotidienne du musicien à partir de documents réels. Il va devoir trouver son chemin de compositeur face à un pouvoir qui juge criminel (un crime se punit jusqu'à la peine de mort) un artiste qui ne met pas son art au service de l'idéologie, ici un peuple fantasmé. Cette idée de la fonction de l'art n'est pas neuve et l'église a su autrefois la mettre en oeuvre, tant qu'elle avait le pouvoir (et l'argent) et souvent avec la collaboration volontaire des artistes qui travaillaient pour la gloire de Dieu. L'idée de "message" transmis par une oeuvre d'art en est un résidu. Elle était d'usage dominant après la fin de la dernière guerre, globalement acceptée par les artistes majoritairement éblouis par l'illusion communiste. Mais, comme ceux qui sont en charge de son application sont souvent ignorants et que le contenu rationnel d'une oeuvre d'art est par essence obscur, c'est l'arbitraire qui règne. L'existence de Chostakovitch devient un cauchemar imprévisible. Il me semble, c'est une remarque personnelle, que ses quatuors étant plus difficiles à décoder que ses grandes oeuvres seront son refuge.

Le livre fourmille de scènes inimaginables dans une société libre : menaces, claires ou voilées, récompenses parfois déstabilisantes, appui imprévisible du sphinx du Kremlin, etc. Chostakovitch aura sans doute été sauvé par son génie dont la notoriété internationale était considérable. D'autres, qui ne l'avaient pas, ont été broyés. Lui faisait le "gros dos", poussé à composer quoi qu'il arrive par un incoercible besoin profond, lâchant parfois un lest qu'il serait indécent de lui reprocher, conscient de son génie et espérant des jours meilleurs. Qu'aurions-nous fait dans sa situation et avec ses qualités ? Question sans réponse, bien entendu.

La forme de ce livre est remarquable et contribue à son effet. Nous sommes plongés dans la vie de Chostakovitch, avec ses détails quotidiens et ses questions pressantes. On ne peut qu'y croire et se placer dans l'esprit et les interrogations du musicien. En cela et grâce à cette subjectivité, ce roman va plus loin qu'une biographie, par nature plus distante. Un très beau livre qui, parfois, fait frémir.

Mercure de France (2016) - 200 pages