Ce remarquable et très bref roman joue sur le sens et le poids des "vérités" qu'une vie humaine contient. Et dit que leur détention, loin d'aider, peut faire obstacle à l'accomplissement heureux d'un destin. Le tout dans une langue superbe qui doit sans doute beaucoup à la qualité de la traduction.
Deux parties successives forment le récit. Deux parties en opposition, mais dont on espère qu'elles seront un jour réunies, car elles sont complémentaires. Il n'existe sans doute pas de complémentarité qui n'ait sa charge d'opposition qui la valorise : amour et haine, mâle et femelle, guerre et paix, champ et particule, etc. Le monde réel n'est rien d'autre que leur union. Il n'y a pas d'homme bon qui ne soit mauvais, ni de chemin de fer qui ne déraille pas.
Dans la première, un homme veut comprendre la Shoah, même s'il doit en souffrir, au risque de se perdre dans l'impasse d'une langue agonisante, le yiddish et d'une vie unidimensionnelle. Dans la seconde, un tortionnaire nazi veut comprendre en étudiant la Kabbale, mais au risque de devenir fou, pourquoi, soldat, il a perdu la guerre . Et sa fille qui refuse tout passé, autre folie, car elle redoute que toute souffrance actuelle ou future en soit l'effet secondaire. Chacun croit détenir une "vérité" qui l'aliène et le rétrécit et sur laquelle il règle ses comportements, même si le lecteur attentif doute parfois de la sincérité profonde des personnages, au-delà des rôles qu'ils se donnent.
On pourrait redouter cette lecture. Ce serait une erreur, car, au-delà de ces personnages et de leur monomanie, la vie est là qui saura, un jour, diluer ces poses orgueilleuses et raides. Et cette vie est magnifiquement célébrée par l'écriture de EDL, sensible aux choses minuscules et à nos souvenirs, qui sont la véritable matrice de nos destins. Au fond, ce livre est un hymne à la beauté du monde, malgré la bêtise profonde de notre regard sur lui. On en a bien besoin, non ?
Gallimard (2012) - 90 pages