Dans son style direct et économe, MD trace là les grandes lignes d'une vie brève, consacrée à la peinture. Paula Becker (1876-1907) est encore largement méconnue en France, sans doute à tort, mais le sujet n'est pas là. La biographie est passionnante, car elle aborde le changement de société en cours que la guerre de 14 interrompra. Individualisme, place des femmes et de leur liberté, fin d'un monde de certitudes et en ordre, tout cela était déjà en germe.
Paula a vécu 31 ans, ivre de la beauté du monde et de la peinture qui lui y donne accès. Une passion qui ne se partage que bien mal et lui vaudra doute et une certaine solitude affective, mais qu'elle assouvira coûte que coûte. Epouse sans conviction d'un autre peintre, Otto Modersohn, elle a la chance que celui-ci soit aussi peu conventionnel qu'elle. Et pourtant, un enfant naîtra de cette union, responsable indirect de la mort de Paula.
Le récit que fait MD de cette vie est touchant et convaincant. Paula voulait inventer une nouvelle vie, car, consciente de son talent, elle aurait été niée, broyée, si elle avait suivi le socialement correct de son temps. Elle n'est pas seule à ressentir cette pulsion de vie propre, que l'époque, celle de Freud et de l'individu profond et celle d'un un éclat que nous n'avons pas retrouvé depuis était aussi celle d'une paix que l'on pouvait croire solide. Tout était possible, n'est-ce pas... Paula vivra ses courtes années entre Paris et Worpswede en Basse-Saxe, entourée d'amis, souvent intellectuels. Encore faut-il qu'ils n'entravent pas sa volonté d'accomplissement. Citons en particulier Rainer Maria Rilke, dont MD dresse ici un tableau dont l'ombre n'est pas absente. Les éclipses de leurs relations en sont une part du chatoiement.
MD aborde aussi avec justesse le choix des sujets de Paula, qui manifestera toujours sa prédilection pour la vie simple, nue. C'est dans la peinture qu'elle essaie de trouver le lien avec la splendeur du monde, splendeur si profondément au coeur de son être, qu'elle se sentirait coupable de ne pas la dire, jusqu'au bout. Merci à MD de ce livre.
P.O.L (2016) - 165 pages