cheng eternite
 
Ce texte, que l'auteur appelle "roman", me semble avant tout le récit d'une initiation mystique, celle de Dao-Sheng à qui l'amour violent et chaste qui l'unit à une femme terrestre fera découvrir le "troisième oeil", celui de la sagesse, du nirvana, de l'union avec l'un.

Si, d'ailleurs, la lecture de ce livre devait se faire comme celle d'un roman classique, il faudrait une très grande indulgence pour y voir une aventure plausible. Rien dans cet amour fou n'est humain, à la fois démesuré mais passif, précaire mais infrangible. Un amour rêvé ou au moins porté par le rêve de l'un et l'autre des amants. Un amour qui justement excède les capacités et les sens de l'homme et qui ainsi conduit à l'au delà, au grand tout ou plus rien ne se distingue d'autre chose.kuo_1070
On peut d'ailleurs, sans forcer le trait, voir dans la femme qu'aime Dao-Sheng une incarnation de Guanyin, le dieu de la compassion l'Avalokiteshvara du bouddhisme du Grand Véhicule. Elle n'est même que cela dans le roman, compassion et détachement, ce très étonnant mélange qui caractérise le bouddhisme et symbolise au fond assez bien la marche réelle du monde. Solidarité de tous les êtres, qui peut le nier, mais en même temps indifférence de cette marche du monde à leur sort..

D'une manière assez intéressante on assiste aussi au rapprochement de deux civilisations à travers la rencontre de Dao-Sheng et des jésuites évangélisateurs. Même si les voies sont distinctes on sent le désir de l'auteur de fusionner les fins. N'est-ce pas aussi le chemin de F. Cheng, aujourd'hui académicien, qui a si magnifiquement épousé notre culture sans oublier la sienne ? On lira par exemple son superbe livre "le Dit de Tianyi".

Rendons aussi justice à la poésie incomparable de ce récit dont les scènes, qui se déroulent à la fin de l'ère Ming (XVII ème siècle), font souvent penser au vide et au plein des peintures Song, chefs-d'oeuvre de l'art du non dit chinois. Poésie qui à elle seule justifierait déjà la lecture de ce livre brillant et sensible.
 
Editions Albin Michel (2002) - 282 pages