Ce livre est le produit de l'expérience personnelle de l'auteur, membre de l'Ecole Française d'Extrême-Orient, qui a vu le Cambodge, pays qu'il aime et qu'il connait, déchiré, anéanti dans sa chair et sa culture, par les Khmers Rouges (KR), mais aussi par le soutien dont ils ont bénéficié en France et par l'action cynique et incompétente des Usa.
FB a été capturé et détenu par les KR, interrogé, menacé dans sa vie, car soupçonné du crime majeur d'être agent de la CIA, puis finalement relâché. Il aura du cette clémence inhabituelle (2 survivants sur des centaines de détenus) au fait que sa détention a eu lieu au début de la montée des KR, avant le radicalisme sanguinaire des derniers moments, mais surtout à la qualité humaine de l'habile relation qu'il a su avoir avec DOUCH, un dirigeant KR qui deviendra par la suite un bourreau célèbre.
Le récit que fait FB de cet internement est passionnant, d'abord par la simplicité du récit, son absence d'emphase. Réussir les actes les plus simples de la vie (se laver, par ex.) devient une victoire. Supporter, sans désespoir ni révolte, une situation injuste, au risque vital, est au passage, la preuve d'un caractère fort et d'une capacité de distance particulière.
Il est aussi, et peut-être surtout, passionnant par le fait que FB a su conserver une réserve suffisante pour ne pas rejeter dans son interlocuteur, l'homme et ses rêves, même lorsqu'il dialogue avec ses geôliers. Il accepte l'idée qu'ils aient pu, même poussés par le Vietnam, se lancer dans cette révolution avec, au départ, un idéal de justice égalitariste, aussi puéril et irréel qu'il soit. Il ne condamne pas les hommes à priori et en particulier le fameux DOUCH ; il sait que réside encore en eux une part d'humanité, comme réside en nous une part "KR". Cela nous vaut des dialogues d'une rare intensité, mais jamais violents ou nihilistes. Cela vaudra surtout à FB la vie sauve.
La seconde partie du livre est le récit des derniers moments (en 1975) de Phnom Penh, lorsque les KR ont pris le contrôle de la ville et que les étrangers trouvent refuge dans l'ambassade de France. Là encore, les qualités humaines de FB feront (presque) merveille pour permettre à ces résidents enfermés (ils sont plus de mille), de survivre et d'être évacues. Sa connaissance de la langue, des moeurs du pays, sa capacité à comprendre les motivations de ses ennemis éviteront toute dérive violente qui, évidemment, menace à chaque moment. Une blessure, exposée avec pudeur, est le lâchage par la France des Cambodgiens qui cherchaient asile. Pouvait-on mieux faire ?
Et tout au long du livre, on ressent cette rage rentrée de FB, devant les intellectuels français, enivrés de foi communiste et refusant, en bons croyants, de soumettre leur idée simpliste à l'épreuve des faits. Il est plus facile, pour un ignorant, de croire que de chercher à comprendre. Il est aussi plus facile de hurler avec les loups que d'avoir une opinion construite sur la réalité. Nous n'avons d'ailleurs rien appris, puisque, avec le même enthousiasme, nous accueillons la foi écologique et ses dogmes qui transforment peu à peu une idée juste en une religion violente et intolérante.
FB nous livre là quelque chose de rare qui va bien au-delà de son épreuve personnelle. Un peu comme Montaigne, au coeur d'événements dramatiques, il rappelle d'une voix calme ce que doit être un homme, dont l'humanité ne se résume pas à sa souffrance et encore moins à son espoir de rédemption dans une autre vie. Il ne fait jamais de sa douleur ni de ses actes la monnaie de son salut. Il a peut-être retenu le stoïcisme du bouddhisme, sans se charger des mécanismes obscurs du "karma" ?
Un livre remarquable et qui va bien au-delà d'un simple récit historique ou autobiographique.