La fin heureuse de la guerre froide a gravé dans le bronze une stratégie militaire coûteuse d'hypertechnologie, de guerre à distance et de destructions massives, inspirée des USA. Or en Afghanistan, en Palestine, en Irak, pour ne citer que des conflits récents où l'Occident n'a pas su imposer sa volonté, ces trois atouts ont été inefficaces, voire contre-productifs. Alors ?
Cet essai va tenter d'y répondre en rappelant d'abord que la guerre n'est pas le combat. La guerre a pour objectif de contraindre un tiers, quand la diplomatie et la négociation ont échoué, à ne pas entraver nos choix politiques et à lui imposer un comportement qui les respecte. Ces choix résultent bien entendu d'un mélange d'intérêts, de vision de l'avenir, de recherche de sécurité, de perspectives économiques et sociales, mais aussi d'idéologie politique et religieuse. Si le combat est un des moyens, il n'est pas le seul et c'est là où le bât blesse.
La guerre froide avait en effet privilégié dans une stratégie d'égal à égal, une suprématie de forces et de capacité de destruction incontournable. Il avait été impossible d'obtenir par la diplomatie une mise au pas de l'adversaire. La guerre "froide" qui aurait pu devenir chaude était nécessaire. Elle a été gagnée par épuisement, heureusement sans combat. Cette stratégie victorieuse a fait croire, en particulier aux USA et à ses suiveurs, qu'elle était universelle et durable et que l'ennemi aurait toujours une forme d'URSS.
Or les guerres que nous avons connues dans les dernières années nous apprennent que "l'essentiel n'est plus l'aptitude à la destruction, mais la capacité d'assurer le contrôle politique de l'espace et d'établir, grâce à la violence maîtrisée d'une action perçue comme légitime, les conditions d'émergence d'un nouveau contrat social". C'est ce que l'auteur appelle "La guerre probable". Ce qui implique certes une présence de la force, mais surtout une présence physique massive et la coordination de tous les moyens d'action sur place : subsistance, soins, sécurité des populations, création d'institutions (justice, police, éducation, finances, etc.) et rétablissement d'un Etat local. Coordination déjà délicate au niveau d'un Etat, illusoire à ce niveau de détail entre Etats, comme l'Afghanistan l'a montré (voir "Afghanistan, au coeur du chaos"). Notons au passage (c'est moi qui le dis) la probable impuissance devant cette tâche d'une Europe de la Défense... qui risque de préparer la guerre d'hier.
On sent bien que l'auteur a mis là le doigt sur un point sensible. La tâche militaire se transforme et doit ajouter à la destruction la construction, une fois passée la phase de combat nécessaire. Il semble bien que la hiérarchie militaire en soit consciente, comme la structure de l'intervention au Mali l'a montré. En sera-t-il de même en Centrafrique ? Et d'une manière plus globale, comment répartir les efforts ? A-t-on besoin d'un Rafale ou de 3 avions un peu moins performants pour le même prix ? Et le coûteux char Leclerc qui aurait eu son rôle face à l'armée russe, mais qui n'impressionne guère les rebelles touaregs ou autres... Délicates balances budgétaires, quand on prend conscience que le premier ingrédient est la présence d'hommes formés sur le terrain. Et comment les y préparer, à cette tâche, gigantesque et si diverse ?
Il est rare qu'un livre de stratégie militaire soit accessible au citoyen de base. C'est bien le cas de celui-là qui pose des questions sans complaisance aux citoyens que nous sommes. Passionnant.