Nous avons tous en nous, bien caché, un autre nous-mêmes, plus audacieux, plus naturel, moins policé, qui nous fascine et nous inquiète, mais surtout nous éloigne de ce que nous voudrions être (paraître?). Kornel est ce double de l'auteur, un écrivain hongrois (1885-1936).
En une vingtaine de nouvelles brèves, nous allons faire la connaissance de ce double séduisant et un peu pervers. Pas toujours très régulier ni très honnête, Kornel. Mais on l'imagine sourire aux lèvres, sans scrupule, séduisant et sûr de lui. Tout ce que nous savons que nous ne sommes pas ; nous avons des principes, une éducation, une morale. Lui est la nature brute, pas encore façonnée par l'éducation.
Mais au fond de nous, protégé par nos refoulements, Kornel est là. Comme un négatif de ce que nous sommes aux yeux du monde, il est là, caché, mais bien présent. Et nous agissons en ayant toujours reçu son avis, que nous l'ayons sollicité ou non. Obéir à ses chefs, aider quelqu'un, prendre des responsabilités, s'engager, etc. pousse Kornel à réagir souvent cyniquement. Conscient et inconscient ? La lutte de l'individu face au citoyen ? Sans doute. Mais il n'y a qu'une façon d'être un individu et mille d'être un citoyen...
Il me semble que ce Kornel est précieux, comme un recours face aux excès de « Big Brother », à ce monde qui réduit notre sphère privée en peau de chagrin. Face aussi aux excès des gourous que notre siècle produit à la pelle, comme l'avait fait le précédent : racisme d'Etat, communismes pourvoyeurs de famines et de goulags, religions fanatiques, écologisme mystique, etc. Il va nous falloir un Kornel-Dionysos musclé pour nous rappeler nos instincts, notre nature, face à ces tsunamis. Non sans risque, certes !
Mais n'oublions pas que ce livre est avant tout un recueil remarquable de nouvelles, une très agréable lecture, qui se suffit à elle-même. C'est déjà beaucoup !