rocchi errance bruno

 

En 1600, l'inquisition romaine condame Giordano Bruno à périr brulé vif. Cette biographie montre comment aucune conciliation ne fut possible entre un esprit fou de liberté intellectuelle et une institution convaincue d'être gardienne de l'ordre du monde, l'Eglise.

Précisons d'abord que ce livre fait le choix de se concentrer sur un Bruno philosophe, épris de cosmologie et passe sous silence la part plus sulfureuse de son personnage ( hermétisme, divination, métempsycose, etc. ). Or cette part semble avoir contribué lourdement à sa condamnation.

 

Il est fascinant de constater que Bruno ne met jamais en cause l'existence d'un Dieu. Il cherche toujours à concilier sa foi et ses intuitions dictées par sa raison sur l'ordre des mondes. Ce qui l'oblige à mettre en cause certains dogmes pour sauver cette conciliation. Blasphèmes ? L'Eglise, déjà ébranlée par Copernic, ne peut qu'appeler de ce nom ces thèses fulgurantes et les combattre. Elle avait perdu son incontestable évidence et sa force et n'avait plus les moyens de la tolérance. Dans l'Islam triomphant, Averroès avait mieux réussi avec "Discours décisif" au 12e s.

Ajoutons que Bruno est un philosophe, j'allais dire "n'est qu'un philosophe". En effet il ne possède pas la méthode scientifique pour fonder ses affirmations sur les faits, qui aurait transformé son opinion philosophique en raisonnement vérifiable par tout être humain. Il lui a manqué quelque décénies... Le livre montre bien son dénuement face à la puissance de cette représentation du monde que défend et garde farouchement l'Eglise. Il n'est, lui, qu'un destructeur de cet ordre sans claire stratégie de remplacement. Il faudra deux siècles pour y parvenir.

On ne peut cependant qu'admirer Bruno, qui avait perçu que l'esprit humain allait devoir sortir de la cage des dogmes et des systèmes fermés (Aristote, Thomas, etc.) pour affronter un tsunami de questions auxquelles le siècle allait donner une méthode pour ne pas s'y perdre. Lui, peut-être, qui n'avait rien d'autre que ses convictions, s'y est un peu perdu. Je ne suis pas loin de penser que l'Eglise était consciente de ce changement en marche, mais que, plus que Bruno, elle en redoutait les conséquences sur la société dont elle se sentait en charge, cherchant la voie d'une transition en sa faveur et ennemie des ruptures. Bruno était seul.

Il est dommage que ce livre excellent soit épuisé et uniquement disponible en occasion. N'y aurait-il pas un éditeur capable de le rééditer en poche ? D'autant que les droits semblent libres...

François Bourin (1989) - 287 pages