L'auteur décrit et analyse ici les mouvements de pensée qui se définissent par rapport à la science, qu'ils soient contemporains ou historiques, religieux ou rationalistes, qu'ils la vitupèrent ou la déifient. C'est ce qu'il appelle l'alterscience.
Extraordinaire plongée dans la complexité de notre esprit humain, avide de "vérités" d'accès facile, de certitudes, mais aussi capable de défiance absolue dès que les propos dépassent son expérience propre et son bagage conceptuel. D'autant plus d'ailleurs qu'il a perdu confiance en ses institutions, supposées lui apporter réassurance quand ses capacités propres trouvent leur limite. Plongée aussi dans l'interaction entre la science et une société qui oublie vite ce qu'elle a gagné avec les acquis scientifiques pour se concentrer sur les risques que la défiance vis-à-vis des institutions exacerbe.
Peut-être la première ambiguïté est elle d'avoir conféré à la science un rôle de fabricant de "vérités", ce qu'elle n'est pas. Elle n'est, à travers ses théories (darwinisme, génétique moléculaire, relativité, mécanique quantique, etc.), qu'une représentation par et pour l'homme du monde qui l'entoure, en particulier au moyen de l'outil mathématique. Mais, pour s'appeler "science" ce travail théorique doit non seulement être explicatif du monde connu dans son domaine, mais aussi proposer des observations spécifiques vérifiables et n'être mis en défaut sur aucune de ses prévisions. La science est donc modeste, mais elle a ses règles impérieuses, qui en font sans doute, pour moi, le monument le plus achevé de l'esprit humain.
Cet évident empire de la science, à l'accès difficile, mais universel, a tout au long de l'histoire, suscité adoration ou haine et a incité des hommes à user de son prestige pour des travaux qui n'en relevaient pas. Citons quelques situations connues que le livre aborde en détail :
- Les religions, d'abord, menacées dans leurs certitudes constitutives. L'avatar actuel est l'antidarwinisme, appelé aussi créationnisme et qui n'hésite pas à s'autoproclamer scientifique. Sans oublier Galilée.
- Les idéologies du 20e s. ont, elles aussi, revêtu les habits de la science : le nazisme et sa race aryenne, le communisme "scientifique", par exemple. Sans oublier Fourier ou Saint-Simon, peu avant. On peut aussi ranger ici les actuels mouvements extrémistes (comme l'ultra gauche anarchiste) qui veulent détruire tout ce qui relève de la pensée scientifique considérée comme un asservissement. Mais oui....
- Citons aussi la réaction de rejet de quelques scientifiques à la relativité dont l'expression conceptuelle est difficile et qui a effrayé une part de la communauté, malgré des preuves expérimentales indiscutables. Sans la relativité, pas de GPS, par exemple.
- La mécanique quantique, elle aussi d'une redoutable complexité, indissociable de la fin du principe "une cause un effet" qui avait guidé la pensée jusqu'ici. Ce qu'Einstein lui-même et bien d'autres n'ont jamais accepté, là aussi en dépit de sa puissance prédictive avérée. Les lasers, l'imagerie médicale, la physique nucléaire, etc. en sont les enfants.
- Passons sous silence les escrocs, comme le promoteur des avions renifleurs, ou les innombrables inventeurs avides de gloire scientifique, qui émettent une idée et tentent de la faire passer pour une découverte, déçus et revanchards devant le silence qui entoure leurs idées vagues qu'ils croient géniales et même parfois, de nature à sauver le monde.
Pourquoi ces errances ? Le livre les met en évidence et montre bien, cas par cas les causes presque toujours combinées qui y conduisent :
- Peur de l'avenir et idéalisation du passé.
- Culture scientifique trop faible, en France en particulier, où le cursus secondaire n'aborde pas les découvertes du 20e s. ou les confond avec leurs applications.
- Réactions de scientifiques âgés, enfermés dans la science de leurs études. Pauvres polytechniciens, que l'auteur ne ménage pas, étant lui-même l'un d'eux.
- Fascination pour les succès des sciences, dont on aimerait partager la gloire.
- Peur de la confrontation avec la réalité et de la méthode expérimentale qui peut détruire des rêves présentés comme des vérités. Peur de perdre la face, peut-être aussi.
- Rêve d'un monde égalitariste où les mathématiques seraient bannies et où chacun, sans grand effort, pourrait tout comprendre...
- Révélation de ses propres limites devant une formalisation mathématique que l'ego déboussolé prend pour une injure.
- Plaisir de détruire (c'est moi qui l'ajoute), pulsion humaine presque aussi puissante que la libido.
Ce livre nous fait réfléchir à un bouillonnement de pensée qui a toujours caractérisé notre espèce face à la pensée logique, rationnelle, que certains disent froide et qui se veut souvent dominatrice dans notre interprétation du monde. Certes cette pensée logique a son (ses ?) domaine de validité dont elle ne doit pas sortir sans de grandes précautions. Mais l'utiliser à contre sens ou la contester là où elle a prouvé son efficacité et sa justesse est une impasse et peut parfois devenir déviant, voire dangereux. Seuls les scientifiques formés, à jour, respectueux d'une méthode exigeante et universelle en ont les moyens, d'ailleurs sans garantie de succès.
Les clés que donne ce livre pour former notre jugement devant l'attitude de l'homme face à la science sont précieuses. Puissent-elles nous éviter de succomber aux sirènes d'idées séduisantes, généralisatrices, mais souvent simplificatrices, creuses et surtout fausses. Il ne suffit pas de croire pour avoir raison.