inoue voix

 

Un vieux fou de poésie et en particulier du recueil "Manyô-shû" entre pour ainsi dire dans son rêve poétique à la suite d'un choc. Il aspirait à un monde plus naturel, moins raisonnable, plus sensible, un monde à l'image d'un long "Haïkaï"; il va maintenant le vivre comme un délire heureux, à la fois auteur et acteur de son mirage, jusqu'à ...
Il faut tout le talent d'Inoue pour nous embarquer dans cette impensable aventure. K., notre héros, ne part pas seul. Il embarque dans son arche sa petite fille, modèle de pureté innocente, une jeune femme fugueuse ramassée par hasard et le chauffeur de l'arche, ou plutôt du taxi qui les véhicule. Et nous aussi, enfin presque. Chacun dans ce quatuor apporte sa contribution et l'affaire se déroule fort bien, quelque temps.
Mais cette nature vénérée plus que de raison reprend ses droits. Un petit virus et un orage torrentiel rappelleront que si l'homme a toujours cherché à tenir la nature par la bride ce n'est pas uniquement par bravade intellectuelle. En quelques instants, le drame se noue et K. le paiera au plus haut prix.

Le personnage de K., que l'on peut facilement rapprocher de Don Quichotte est superbe. Luttant contre les "démons" ou bien nous déclamant des passages du "Manyô-shû" il nous émeut, car même si l'on perçoit la part de justesse de son rêve , on en mesure bien vite les limites humaines et sa dangereuse stérilité.

De la poésie, certes, mais pas jusqu'à l'ivresse !

 

 

30 octobre 2010

A la suite d'une relecture de ce roman, il me semble utile d'ajouter quelques remarques.

La toile de fond de ce roman est le terrible sacrifice vécu par le Japon en 1868, pour entrer dans la modernité.

Le "Manyô-shû" a été écrit à une époque où le Japon commençait à émerger de sa protohistoire. Signalons au passage que la culture japonaise que nous considérons comme propre à ce pays et qui nous a tant influencés à la fin du 19e. siècle, n'est pas celle de ces poèmes, encore très influencés par la Chine. Le choix que fait ici YI est donc d'aller aussi profondément qu'il le peut dans les racines de son pays pour y retrouver ce qui, aujourd'hui, est menaçant pour le Japon, dans son identité originelle.

Notre vieil érudit, K., appelle "démons'' toutes les manifestations de la modernité. Ils sont en train de gagner, de tout envahir et il va tenter de sauver la petite fille de cette menace, pour la conduire vers une terre promise improbable, telle que le "Manyô-shû" la laisse pressentir.

La finesse et la sensibilité de YI font le charme de cette aventure donquichottesque, emplie de cette terrible déchirure, que l'entrée dans le monde moderne a infligé à ce pays.

Editions Le Serpent à Plumes (1967) - 325 pages