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L'Europe, en 2012, est en crise, crise révélée par les dettes abyssales des nations. Mais cette crise est plus profonde : l'Europe n'appartient pas aux peuples qui la composent. Elle est plus subie que voulue. Son destin même est en question.

Ce livre est une mine de réflexions pertinentes, provenant de praticiens de l'Europe, ce qui lui confère le poids du réel. On pourrait presque le résumer par un rejet motivé des attentes contradictoires qui incarnent l'impasse actuelle : "Vouloir être aussi forts que si l'Europe était unie, conserver autant de souveraineté nationale que si elle ne l'était pas". Et c'est bien entendu de cela que les auteurs nous invitent à sortir.

 

Les Etats n'ont pas le monopole de la démocratie

Un premier chapitre rappelle à bon droit la singularité de l'organisation européenne et certaines de ses vertus. Citons par exemple le démêlement plutôt paisible de la partie européenne de l'Empire soviétique à sa disparition. Il rappelle aussi les faiblesses des démocraties nationales européennes actuelles : court-termisme et individualisme jaloux entre autres. Il souligne aussi le rôle positif que joue l'institution européenne face à des nations immobiles et crispées comme la France.

Pourquoi l'Europe ?

Mais le coeur de la pensée des auteurs procède du credo qu'être l'Europe est plus et mieux qu'être la somme des nations qui la composent. On peut partager cette foi, mais aussi exprimer quelques réserves : le gigantisme et la sur-extension ont toujours été, dans l'Histoire, des sources de perte de contrôle et de dissolution des Empires. Alors, où s'arrêter ? Et cette fédération disparate de langues, de cultures, de mythes, ne perd-elle pas souplesse et réactivité ? EADS ou le CERN, par exemple, ne sont-ils pas nés d'alliances intelligentes entre nations, alors qu'initiées par l'Europe, on aurait pu craindre une noyade dans le marécage procédurier, égalitaire, écologique et durable ? La minceur des réalisations concrètes, en plus de 60 ans d'existence des institutions, laisse place au doute.

Si on balaie ces objections, alors le livre et son contenu prennent tout leur sens. Notons en vrac quelques points essentiels.

Quelle Europe ?

D'abord, l'Europe ne peut pas et ne doit pas être contrôlée par les nations si elle veut, justement, aller plus loin qu'elles. Il y a souvent conflit irréductible d'intérêts, dont on ne sort habituellement que par le bas. En ce sens, si la Commission est une véritable institution européenne, les Conseils des Ministres et de Chefs d'Etat sont des lieux de luttes nationales plus que de recherche de l'intérêt européen.

Ensuite, l'Europe n'a pas créé, jusqu'ici, de véritable démocratie européenne, car tout reste encore structuré et filtré par les institutions nationales. Le résultat est clair : l'Europe n'est pas devenue la chose des Européens. L'intérêt national reste prioritaire.

Quant à l'Euro, il n'aurait de sens, s'il en a un, que dans une fédération (d'ailleurs prévue dès l'origine), dotée d'institutions souveraines, claires et visibles et des outils de cette souveraineté, à commencer par un budget. On en est loin, peut-être même de plus en plus loin avec le temps qui passe, surtout si la crise s'apaise et que la facilité du statu quo reprend vigueur. Alors, l'euro sera le fossoyeur de l'Europe politique inaboutie, après avoir été celui de l'économie des pays peu productifs.

L'Europe et les Nations

A mon sens, la contribution majeure de ce livre est de montrer qu'il y a un conflit irréductible entre la souveraineté des nations et la construction de l'Europe. L'Europe des nations fut une erreur stratégique... ou un refus d'Europe. Les demi-mesures prises ont caché ce fait cruel, presque inacceptable en temps de paix, au détriment de l'efficacité de la construction européenne. Mais les nations, partiellement vidées de leur souveraineté, perdent souplesse et efficacité, sans pour autant que le transfert partiel et très contrôlé du pouvoir à l'Europe suffise à lui conférer un statut opératoire. Gabegie des demi-mesures et des idées inabouties, qui affaiblissent ce qui existe sans y substituer autre chose. La montée actuelle des nationalismes traduit une réaction normale à ce jeu stérile. Le temps du choix presse.

Les auteurs plaident donc pour une rapide transition fédérale établie sur un fondement démocratique européen, hors du contrôle des nations. C'est certainement la seule voie raisonnable à prendre d'urgence, si on croit à l'avenir de l'idée européenne. Mais le nombre de ceux qui y croient encore diminue vite !

 

Flammarion (2012) - 250 pages